La Papesse Jeanne
domestique.
— Ma dame, s’empressa-t-il
de répondre, flatté, je ne serai que trop heureux de vous aider. Quelle est la
nature de votre difficulté ?
— Elle
concerne cette Jeanne, notre pupille. Ce n’est plus une enfant. Elle... a
atteint l’âge de femme. Il ne sied plus qu’elle demeure sous notre toit.
— Je vois,
dit Fulgence, qui manifestement ne voyait rien. À moi, donc, d’envisager de lui
trouver un autre...
— Je viens d’arranger
à son bénéfice un mariage des plus avantageux, interrompit Richild. Avec Iso,
le fils du maréchal- ferrant Bodo. C’est un brave garçon, fort bien de sa
personne, qui prendra tôt ou tard la succession de son père, car il est fils
unique.
— Vous m’en
voyez surpris. Votre pupille aurait-elle exprimé le vœu de se marier ?
— Ce n’est
évidemment pas à elle qu’il revient d’en décider. Ce mariage va au-delà de ses
plus folles espérances. Non seulement sa famille est pauvre, mais ses étranges
manières lui ont valu une sorte de... réputation.
— Sans
doute, admit aimablement l’évêque. Mais elle semble vouée corps et âme à ses
études. Or, elle ne pourrait en aucun cas les poursuivre si elle épousait le
fils de Bodo.
— C’est
justement la raison de ma présence. Puisque c’est vous-même, monseigneur, qui
avez eu la bonté de l’accueillir dans votre école, je souhaiterais que vous
ayez celle de l’en renvoyer.
— Je vois,
répéta-t-il. Et quel est le sentiment du comte à ce propos ?
— Il ne sait
rien. L’occasion vient de se présenter.
— Dans ce
cas, dit Fulgence, soulagé, nous attendrons son retour. Rien ne sert de presser
les choses.
— L’occasion
dont je vous parle risque de se perdre, insista Richild. Le fils de Bodo ne s’est
pas peu fait prier – il semblerait qu’il se soit entiché d’une fille de
la ville –, mais j’ai naturellement veillé à proposer une alliance
avantageuse. Son père et moi sommes d’ores et déjà d’accord sur le montant de
la dot. L’intéressé a accepté de se soumettre aux vœux paternels, mais il est
fort jeune et risque à tout moment de changer d’humeur. Mieux vaut que les
noces aient lieu sans tarder.
— Cependant...
— Permettez-moi
de vous rappeler, monseigneur, que je suis la châtelaine de Villaris, et que
cette jouvencelle a été placée sous ma tutelle. Je suis pleinement capable de
prendre une telle décision en l’absence de mon époux. Je dirais même que je
suis mieux placée que lui pour le faire. Pour parler franchement, la partialité
de Gerold brouille entièrement son jugement dès qu’il s’agit de cette fille.
— Je vois,
dit l’évêque – qui cette fois voyait fort bien.
— Mon
inquiétude est strictement pécuniaire, se dépêcha d’ajouter Richild.
Comprenez-moi. Gerold a dépensé une petite fortune pour acheter des livres à
cette fille, et ce en pure perte, car les portes de l’érudition lui seront à
jamais fermées par son sexe. Il faut bien que quelqu’un se préoccupe de son
avenir ; c’est ce que je fais. Vous devez convenir que ce mariage lui est
favorable.
— Certes.
— Bien. Vous
acceptez donc de la dispenser de ses études ?
— Je vous
présente toutes mes excuses, ma dame, mais ma décision devra attendre le retour
du comte Gerold. Je vous promets de débattre longuement de cette affaire avec
lui, et aussi avec la fille. Car si ce mariage est... favorable, comme vous
dites, je préférerais ne pas l’arranger contre sa volonté. En revanche, si tout
le monde est d’accord, nous procéderons avec célérité.
Richild ouvrit la
bouche, mais il lui vola la parole.
— Je sais
que vous pensez que ce mariage sera compromis s’il ne se fait pas sur-le-champ.
Pardonnez-moi, ma dame, mais je ne puis consentir à votre requête. Une
demi-lune et même une lune entière ne feront pas grande différence.
Encore une fois,
elle voulut protester, et encore une fois, l’évêque l’en empêcha.
— Ma
décision est prise, dame Richild. Il est inutile de discuter plus avant.
Richild rougit
sous l’insulte. Pauvre fou ! Qui croit-il être pour me donner des
ordres ? Ma famille fréquentait les palais royaux quand la sienne était
encore à labourer la terre !
Elle soutint son
regard sans ciller.
— Fort bien,
monseigneur. Puisque telle est votre décision, je dois l’accepter.
Elle fit mine d’enfiler
ses gants de cavalière.
— Au fait,
ajouta-t-elle d’un
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