La Papesse Jeanne
se demanda Jeanne, surprise.
Impatiente,
Richild frappa du pied. D’un œil exercé, Jeanne considéra les plumes posées
devant elle et choisit la plus acérée. Elle prit une feuille de parchemin
vierge, trempa sa plume dans l’encrier, et leva la tête.
— Écris :
« De Richild, comtesse et châtelaine du domaine de Villaris... »
Jeanne écrivit d’une
main experte. Le grattement de sa plume était le seul bruit dans le silence
mortel de la terrasse.
— «... à l’attention
du chanoine d’Ingelheim. »
— Mon père ?
— Continue. « Votre
fille Jeanne, ayant atteint sa quinzième année et se trouvant par là même en
âge de prendre époux, n’a plus la permission d’étudier à l’école épiscopale. »
Jeanne cessa d’écrire.
— « En
tant que tutrice et gardienne des destinées de votre enfant, poursuivit
Richild, feignant toujours de dicter, j’ai arrangé pour elle un excellent
mariage, avec un homme prospère : Iso, le fils du maréchal-ferrant de
notre ville. Les termes de l’accord sont les suivants. »
Jeanne se leva d’un
bond, renversant le tabouret au passage.
— Pourquoi
faites-vous cela ?
— Parce que
je le veux, répliqua Richild, une ombre de sourire aux lèvres. Et parce que je
le peux.
Elle sait.
Elle sait tout sur Gerold et moi.
Les joues de
Jeanne s’embrasèrent.
— Oui,
reprit la comtesse. Gerold m’a conté votre navrante petite aventure au bord du
ruisseau. As-tu vraiment cru le séduire avec tes pauvres baisers ?
Figure-toi que nous en avons ri ensemble, et le soir même !
Jeanne était trop
médusée pour répondre.
— Je te sens
surprise. Tu ne devrais pas l’être. Tu croyais peut-être être la première ?
Ma pauvre fille, mais tu n’es que la dernière d’une longue liste de conquêtes !
Comment donc as-tu pu prendre ce petit jeu au sérieux ?
Comment
peut-elle savoir ce qui s’est passé entre nous ? Lui a-t-il parlé ?
Une vague de
froid remonta le long de l’échine de Jeanne.
— Vous...
vous ne le connaissez pas.
— Je suis sa
femme, petite insolente.
— Vous ne l’aimez
pas.
— Non. Mais
je n’ai pas pour autant l’intention de laisser une vulgaire fille de colon se
mettre dans mes jambes !
— Vous ne
pouvez rien faire sans l’accord de Fulgence ! C’est lui qui m’a accueillie
à l’école. Vous ne pouvez pas m’en fermer les portes sans sa permission !
Richild lui
tendit un rouleau de parchemin frappé du sceau de l’évêque. Jeanne le lut à
toute vitesse, puis recommença plus lentement. Aucun doute n’était permis.
Fulgence avait bel et bien promulgué son renvoi. L’acte portait également la
signature d’Odo. Quel n’avait pas dû être le plaisir du clerc !
Richild jubilait.
Cette petite effrontée découvrait enfin l’étendue de son insignifiance.
— Il est
inutile de discuter davantage, dit-elle. Rassieds-toi, et finis d’écrire ma
lettre à ton père.
— Gerold ne
vous laissera pas faire !
— Pauvre
sotte, c’est son idée !
— Si ce
mariage était son idée, pourquoi auriez-vous attendu qu’il s’en aille pour l’arranger ?
— Gerold a
le cœur tendre. Il n’a pas osé t’annoncer la nouvelle lui-même. C’était chaque
fois pareil, avec les autres. Il m’a demandé de résoudre le problème à sa
place. C’est ce que j’ai fait.
— Je ne vous
crois pas, bredouilla Jeanne, reculant d’un pas et luttant pour ravaler ses
larmes. Je ne vous crois pas !
Richild soupira.
— L’affaire
est close. Finiras-tu cette lettre, ou dois-je foire venir Wala ?
Jeanne tourna les
talons et partit en courant. Avant même d’avoir atteint la grande salle, elle
entendit sonner la cloche de la comtesse, qui appelait son chapelain.
Son loup
attendait là où elle l’avait laissé. Jeanne se jeta à genoux près de lui et le
serra dans ses bras.
Je ne dois pas
céder à la panique. C’est exactement ce qu’elle espère.
Elle avait besoin
de réfléchir, de décider d’un plan. Mais ses pensées tourbillonnaient trop
vite, la ramenant sans cesse au même point.
Gerold.
Où
est-il ?
Richild n’aurait
pas agi ainsi en sa présence. À moins qu’elle n’ait dit la vérité, à moins
que ce mariage ne soit l’idée de Gerold...
Jeanne chassa
cette pensée. Gerold l’aimait. Il n’aurait certainement pas permis de la marier
contre son gré à un homme qu’elle n’avait jamais vu.
Peut-être
rentrerait-il à temps
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