La Papesse Jeanne
effet.
J’admire tout particulièrement la beauté de la tête, qui est de très grande
proportion par rapport au corps. Elle me remet en mémoire cette citation de la
première Épître aux Corinthiens : « Et la tête du Christ est Dieu »,
glorieuse expression de l’idée selon laquelle Christ réunit en sa personne les
deux natures, la divine et l’humaine.
Grégoire
acquiesça avec ravissement.
— Voilà une
vérité merveilleusement énoncée. Anastase, tu es un excellent vestiarius. L’éloquence
de ta foi est pour moi une source d’inspiration permanente.
Anastase
accueillit le compliment avec plaisir. L’éloge papal se traduirait peut-être
par une nouvelle promotion – au rang de nomenclátor, par exemple,
ou à celui de primicerius. Il était jeune, certes, mais de tels honneurs
n’étaient pas hors de sa portée. En fait, ils constituaient même des étapes
nécessaires à l’accomplissement du grand dessein que nourrissait son ambition :
devenir lui-même pape un jour.
— Vous me
flattez, Votre Sainteté, dit-il avec une feinte humilité. C’est la perfection
de la statue, et non celle de mes pauvres paroles, qui mérite vos louanges.
— Ainsi
parle la voix de la vraie humilitas, dit Grégoire avec un sourire, avant
de poser gravement une main sur l’épaule du jeune homme. Anastase, c’est l’œuvre
du Seigneur que nous accomplirons ce jour.
Le jeune homme
scruta attentivement les traits du pontife. Il ne se doute de rien. Parfait. À l’évidence, Grégoire restait persuadé de pouvoir rétablir la concorde
entre l’empereur et ses fils. Il ignorait tout de l’accord secret discrètement
mis en place par Anastase sur les instructions explicites de son père.
— La
prochaine aube se lèvera sur une nouvelle ère de paix en cette terre troublée,
prédit Grégoire.
C’est la
vérité, à cela près que cette paix ne sera pas du tout celle que vous vous
imaginez.
Si tout se
passait comme prévu, l’empereur se lèverait le lendemain à l’aube pour s’apercevoir
que ses troupes l’avaient déserté pendant la nuit, le laissant seul face aux
armées de ses fils. Tout était prêt. Le prix avait été payé. Rien de ce que Grégoire
pourrait dire ou faire aujourd’hui n’y changerait quoi que ce fût.
Il était
néanmoins important que la médiation papale eût lieu comme prévu. Ses
pourparlers avec Grégoire distrairaient l’attention de l’empereur en ces heures
cruciales. Le pontife devait donc être encouragé.
— C’est une
très belle chose que vous accomplirez ce jour, Votre Sainteté, dit Anastase. Le
ciel vous en saura gré.
— Je le
sais, cher Anastase. C’est un grand moment.
— On vous
appellera « Grégoire le Pacifique », ou peut-être « Grégoire le
Grand »...
— Il ne faut
pas, Anastase. Si je réussis dans ma mission, ce sera l’œuvre de Dieu, non la
mienne. L’avenir de l’empire, dont dépend la sécurité de Rome, est dans la
balance. Si nous triomphons, ce sera uniquement grâce au soutien du Seigneur.
La foi candide de
Grégoire fascinait Anastase, qui avait tendance à la considérer comme une sorte
d’aberration de la nature. Grégoire était sincèrement, profondément humble.
Mais tout bien réfléchi, se dit Anastase, il avait toutes les raisons de l’être,
étant donné la maigreur de ses talents.
— Accompagne-moi
jusqu’à la tente impériale, dit le pape. J’aimerais que tu assistes à notre
entretien.
Tout se passe
comme prévu. Ensuite, il ne lui resterait plus qu’à
revenir à Rome et à attendre. Dès que Lothaire aurait été couronné empereur, il
saurait récompenser Anastase pour les services qu’il avait rendus ici.
Grégoire marcha
vers la sortie.
— Viens,
dit-il. Il est temps d’accomplir ce qui doit l’être.
Ils sortirent sur
le pré, envahi par les tentes et les bannières de l’armée impériale. Il était
bien difficile d’imaginer que le lendemain matin ce foisonnement de couleurs se
serait évanoui.
Ils franchirent
un cordon de gardes et parvinrent devant la tente du souverain. Grégoire fit
halte pour murmurer une ultime prière.
— Verba
mea auribus percipe, Domine...
Non sans
impatience, Anastase attendit que les lèvres molles, presque féminines de
Grégoire eussent fini d’articuler la supplique du cinquième psaume.
... intende
voci clamoris mei, rex meus et Deus meus... Pauvre fou ! À cet instant précis, le mépris d’Anastase pour
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