La parade des ombres

poing, mais se ravisa en reconnaissant, parmi les gens qui tournaient autour de sa maison, l’ancien valet d’Emma, George, qu’elle avait fréquenté du temps où elle travaillait pour elle à Douvres. Elle en conclut qu’il était certainement là pour la surprendre, et s’appliqua à le surveiller.
     
    Ce midi du 31 décembre 1700, George entreprit de poster ses complices aux abords de la demeure de maître Dumas.
    Vraisemblablement il ne l’avait pas repérée, et Mary jugea qu’il était temps pour elle de mettre son projet à exécution avant d’en être empêchée.
    Elle s’écarta de l’endroit pour se dissimuler derrière une pile de caisses vides et abîmées dans un renfoncement, à deux maisons de là. C’était la cour de l’arrière-boutique d’un fripier. On ne l’y vit pas entrer. Elle vérifia que la corde qu’elle y avait apportée s’y trouvait encore, puis s’adossa au mur à côté d’une portée de chatons qui y avait trouvé refuge. Elle n’avait plus qu’à patienter, s’obligeant à sommeiller pour ne pas se laisser gagner par l’impatience et l’angoisse grandissantes.
    Elle avait prévu de prendre ces bandits à revers, pénétrant dans la demeure par un fenestron placé à l’aplomb d’une cheminée, lequel aérait un grenier. Il était assez large pour qu’elle puisse s’y faufiler. Y accéder par les toits s’avérait facile. Une fois dans la place et après avoir neutralisé maître Dumas, elle surprendrait Emma et verrait bien alors si elle avait respecté sa part de marché. Prise en otage, celle-ci n’aurait d’autre choix que la laisser aller avec Ann.
    Cela semblait facile. Trop sans doute. Mary refusa pourtant d’imaginer que rien ne soit comme elle l’avait projeté.
     
    À la nuit venue, elle était prête. Elle s’étira et escalada prestement les caisses, au risque de les voir verser, et finit par atteindre la toiture. Elle s’y hissa. Prudemment, le dos courbé, elle progressa sans bruit sur les tuiles glissantes, tandis qu’en bas, dans la rue de l’Hirondelle, on s’activait à sa perte.
    Le battant d’une cloche sonna onze coups. La rencontre était prévue pour minuit. Elle avait largement le temps de se placer avant qu’Emma ne s’en vienne. Elle parvint sans encombre jusqu’au faîte de l’hôtel de la Salamandre.
    Elle enroula la corde autour du conduit de cheminée, la fixant solidement à l’aide d’un de ces nœuds de marin qu’elle affectionnait. Puis, vérifiant son aplomb, elle se laissa glisser dans le vide pour atteindre sa cible.
    La nuit était claire et les ruelles silencieuses. Le moindre bruit aurait fait lever vers elle les yeux de ses tourmenteurs. Elle ne pouvait se permettre une seule erreur.
    Un mouvement à ses pieds l’obligea à s’immobiliser. Une voiture venait de se garer devant la demeure, et deux lanternes s’en approchaient.
    Mary verrouilla sa posture en enroulant ses jambes et ses pieds autour du cordage, et se plaqua dans l’ombre de la façade. Elle retint son souffle pour entendre ce qui se disait, certaine que cette visite tardive n’avait rien d’une coïncidence.
    Sa position lui masquait les visages, mais elle reconnut sans hésiter Emma, qui descendait du carrosse, à son allure hautaine et décidée. La rage de ne pouvoir l’occire sur-le-champ, comme elle en rêvait, lui fit serrer plus fort la corde entre ses doigts crispés.
    Elle ferma les yeux et se concentra pour ne rien perdre de ces chuchotements qui montaient jusqu’à elle, portés par un souffle glacial.
    — Toujours rien, affirma George, qui venait de rejoindre sa maîtresse.
    — Qu’en est-il de maître Dumas ? demanda Emma.
    — Il ne veut rien entendre et refuse d’être mêlé à l’affaire sans un ordre écrit de Baletti. Il a bouclé sa porte.
    — J’aurais dû me douter qu’il nous ferait des histoires, s’agaça Emma. Cela change mes plans. Sans la discrétion de sa demeure, je ne peux prendre le risque de m’exposer dans une algarade. Où sont tes hommes ?
    — Placés. Toutes les rues sont surveillées. D’où qu’elle vienne, elle ne pourra manquer d’être repérée. Un coup de sifflet nous avertira de son arrivée. Quelle que soit son escorte, elle ne peut imaginer les moyens mis en place pour sa capture. Rassurez-vous, madame, Mary Read ne peut pas nous échapper.
    — Bien. Elle se rendra vite compte qu’elle a été bernée et ne reverra pas sa fille. Elle se battra jusqu’à