La parfaite Lumiere
son nom
de famille : Hangawara veut dire « à demi couvert de tuiles ».
Il était venu à Edo en tant que
rōnin ; mais étant à la fois intelligent et généreux, il s’était
révélé habile meneur d’hommes. Avant longtemps, il s’installa comme
entrepreneur, employant une importante équipe de charpentiers, de couvreurs et
d’ouvriers non spécialisés. De constructions exécutées pour divers daimyōs,
il tira un capital suffisant pour aborder aussi les affaires immobilières.
Désormais trop riche pour devoir travailler de ses propres mains, il jouait le
rôle de chef local. Parmi tous ceux d’Edo, Yajibei était l’un des plus connus
et des plus estimés.
Les bourgeois considéraient avec
respect les chefs aussi bien que les guerriers, mais les premiers étaient les
plus admirés car en général, ils défendaient les gens du peuple. Bien que ceux
d’Edo eussent un style et un état d’esprit qui leur étaient propres, les chefs
n’existaient pas que dans la nouvelle capitale. Leur histoire remontait aux
derniers jours troublés du shogunat Ashikaga, où des bandes d’étrangleurs
parcouraient la campagne comme des troupes de lions, pillant tout leur soûl et
sans retenue.
D’après un auteur de l’époque, ils
ne portaient guère plus que des pagnes vermillon et de larges ceintures. Leurs
grands sabres étaient fort longs – un mètre vingt environ –, et
leurs petits sabres eux-mêmes dépassaient soixante centimètres. Beaucoup
utilisaient d’autres armes, d’un type plus grossier, telles que haches d’armes
et « râteaux de fer ». Ils laissaient pousser leurs cheveux,
portaient d’épaisses bandes de corde en guise de serre-tête, et des guêtres de
cuir leur protégeaient souvent les tibias.
Sans loyalisme fixe, ils jouaient
le rôle de mercenaires ; une fois la paix rétablie, aussi bien les paysans
que les samouraïs les frappèrent d’ostracisme. A l’époque d’Edo, ceux qui ne se
contentaient pas d’être bandits ou voleurs de grand chemin cherchaient souvent
fortune dans la nouvelle capitale. Bon nombre réussirent, et l’on a décrit
cette race de chefs comme ayant « la vertu pour ossature, l’amour du
peuple pour chair et la vaillance pour peau ». Bref, c’étaient des héros
populaires par excellence.
Massacre au bord de la rivière
La vie sous le toit à demi couvert
de tuiles de Yajibei convint si bien à Osugi que dix-huit mois plus tard elle
s’y trouvait encore. Après les toutes premières semaines, au cours desquelles
elle se reposa et se rétablit, il ne se passait guère de jour sans qu’elle se
dît qu’elle devait reprendre la route. Chaque fois qu’elle s’en ouvrait à
Yajibei, qu’elle voyait rarement, il la priait de rester encore.
— Rien ne presse, disait-il.
Vous n’avez aucune raison d’aller ici plutôt que là. Réservez-vous pour quand
nous aurons trouvé Musashi. Alors, nous pourrons vous servir de seconds.
Yajibei ne savait rien de l’ennemi
d’Osugi, sinon ce qu’elle-même lui en avait dit – qu’il était, à la
lettre, la plus sombre des canailles –, mais depuis l’arrivée de la
vieille femme, tous les hommes de Yajibei avaient reçu l’ordre de rapporter
sur-le-champ tout ce qu’ils entendraient ou verraient concernant Musashi.
Après avoir initialement détesté
Edo, Osugi s’était radoucie au point d’admettre que les gens y étaient
« cordiaux, insouciants et pleins de cœur ».
La maison Hangawara était un lieu
particulièrement accommodant, une espèce de havre pour les inadaptés
sociaux ; jeunes campagnards trop paresseux pour être fermiers, rōnins
destitués, prodigues qui avaient dépensé tout l’argent de leurs parents,
anciens bagnards tatoués constituaient une équipe rude et bigarrée dont
l’esprit de corps ressemblait à celui d’une école de guerriers bien tenue. Mais
ici, l’on professait un idéal de masculinité bravache plutôt que de virilité
spirituelle ; il s’agissait véritablement d’un « dōjō »
pour bandits.
Comme dans le dōjō des
arts martiaux, il y avait une rigide structure hiérarchique. Sous le chef,
suprême autorité temporelle et spirituelle, venait un groupe de supérieurs, le
plus souvent appelés les « frères aînés ». Au-dessous d’eux se
trouvaient les acolytes ordinaires – les kobun – dont
le rang était en grande partie déterminé par la durée du service. Il y avait également
une classe
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