La Part De L'Autre
ils
n'entendraient jamais rien.
Heinrich
se plaisait à Paris et cela plaisait à Adolf. Il avait
l'impression de lui avoir offert la ville pour ses vingt-cinq ans.
Des contacts sérieux avaient maintenant été
noués avec les professionnels de l'art. Heinrich n'avait plus
qu'à peindre. C'est
un peu mon fils, cet Heinrich, mon fils en peinture puisque Rembrandt
a la bosse des mathématiques et que Sophie continue à
se chercher. Il sera ma paternité de peintre. Cette
générosité d'Adolf était aussi le moyen
de surmonter cette douleur qu'est pour tout artiste l’apparition
d'un très jeune génie. Adolf se sentait si dépassé
par les dons d'Heinrich qu'il n'avait réussi à trouver
sa place que comme maître et mentor du plus grand peintre de la
seconde moitié du siècle.
— Voilà
mon prince, c'est quarante francs.
Adolf
ne discuta pas le prix excessif annoncé par le chauffeur car
il aurait eu honte de marchander pour quarante francs devant les
portiers du Ritz.
Il
paya et rejoignit sa suite. Lui profitait de la chambre principale,
Sophie de la deuxième et l'on avait trouvé une très
jolie soupente pour Heinrich.
Adolf
se déshabilla, passa un long temps sous la douche tiède
pour se laver de l'ivresse puis enfila un pyjama de soie.
En
passant devant la chambre de Sophie, il entrevit une lumière
et pesta, par réflexe de père économe, pensant
qu'elle s'était une fois de plus endormie sans éteindre.
Il
poussa la porte et découvrit, sur le lit défait et
désordonné, Heinrich nu qui tenait Sophie, tout aussi
nue, dans ses bras.
Ils
avaient ouvert lés yeux en entendant la porte s'ouvrir et
contemplaient Adolf avec effroi.
Les
deux dictateurs étaient assis dans les ruines fumantes.
Parmi
les débris, Hitler avait trouvé une caisse qui n'avait
pas été soufflée par l'explosion. Mussolini
s'appuyait sur une poutre veuve, dernier reste de la charpente.
Les
cendres voletaient encore, hagardes, incohérentes au milieu du
bâtiment éventré et Paul Schmidt, le traducteur,
vérifiait avec angoisse qu'au milieu des miettes de bureaux et
de chaises, des décombres de vitres et de murs, des lambeaux
de vêtements tachés de sang, il ne subsistait pas un
foyer menaçant.
Autour
d'eux, la sinistre forêt de ce territoire des confins envoyait
des buées de ses souffles glacés.
Les
cheveux roussis, le bras en écharpe, Hitler, très
calme, souriait en montrant ce qui restait de son ancienne salle de
conférences.
Voilà.
J'étais là, tout à l'heure, penché
au-dessus de la table en train d'étudier la carte aérienne
lorsque j'ai aperçu, un quart de seconde, une flamme bleu et
jaune. Il y eut ensuite une explosion terrible. Je me suis retrouvé
dans une fumée noire, épaisse, qui tourbillonnait. J'ai
reçu une pluie de verre et de bois. Ça crépitait
dans tous les sens. Nous étions vingt-quatre. Quand la fumée
s'est désépaissie, j'ai vu des silhouettes qui
s'agitaient, les vêtements et les cheveux en flammes. Là,
j'ai vérifié que j'étais bien intact, que je
pouvais bouger. J'avais des éclats dans le bras et la jambe,
mais rien de plus. En marchant vers le jour, j'ai buté sur des
corps. Certains de mes collaborateurs étaient déjà
morts, d'autres grièvement blessés. Quand j'ai mis les
pieds hors d'ici, le bon général Keitel s'est précipité
sur moi, m'a serré dans ses bras en criant : « Mon
Führer, vous êtes vivant, vous êtes vivant ! »
Il pleurait à chaudes larmes, ce brave Keitel.
Hitler,
là, s'arrêta pour larmoyer un peu, plus ému par
l’émotion du général que par sa chance.
Mussolini, un peu en retard sur le récit à cause du
traducteur, parvint, lui aussi, à prendre un air attendri.
Schmidt,
combien de blessés graves ? Éructa Hitler.
Onze,
mon Führer.
Comment
? hurla-t-il.
Onze.
Vous
voyez, Mussolini : onze blessés graves, très graves,
qui vont sûrement décéder dans les heures qui
viennent.
Il
clamait cela avec fierté, comme s'il annonçait une
victoire personnelle.
Votre
sténographe, Berger, est déjà mort dans
l'ambulance, mon Führer. Il avait eu les deux jambes arrachées…
Qui ?
Berger.
Ah,
vous voyez, gueula Hitler en se retournant avec satisfaction vers
Mussolini.
Et
on ne donne plus que quelques heures au colonel Brandt, s'époumona
l'interprète.
Ah
!
Hitler
était ravi. Plus on lui montrait l'étendue du carnage,
plus il se sentait fier d'avoir survécu ;
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