La Part De L'Autre
Ah,
ah, très drôle. Très très drôle. Je
ne la connaissais pas. Vraiment très drôle. Tiens ça
me fait qu'en 31, à Munich...
Mussolini
ne sut jamais ce qu'Hitler avait pu comprendre. Il le laissa crier à
se faire péter les veines du cou sans même plus essayer
de formuler une réponse. Ils trébuchèrent encore
une quinzaine de fois avant de rejoindre les voitures.
Affectueux,
intarissable, Hitler l'accompagna jusqu'à la gare, jusqu'au
quai, jusqu'à la porte du wagon. Fataliste, Mussolini pensait
à sa maîtresse e t à ce qu'il mangerait dans son
wagon ce soir. Il ne prêta plus aucune attention à son
collègue dictateur. Après tout, Hitler n'avait jamais
eu besoin d'être écouté pour parler et cela
faisait plusieurs années qu'il était sourd.
Chère
sœur Lucie,
La
trahison est une lumière crue qui donne sa réalité
à tout ce qu'elle éclaire. Peut-être la seule
lumière vraie... Depuis que j'ai découvert, cet
horrible soir, qu'Heinrich couchait avec ma fille qui n'a que treize
ans, je le vois tel qu'il est. C'est insoutenable.
Une
fois remis de ma surprise, j'attrapai Heinrich nu et le traînai
dans le salon.
Couvre-toi
et explique-moi.
Il
s'empara d'un plaid, se le noua autour des reins et m'adressa un
sourire grinçant.
Je
n'ai rien à dire.
Explique-moi
! Comment as-tu pu faire ça à Sophie ?
Il
éclata de rire.
Le
plus aisément du monde.
Elle
n'a que treize ans.
Et
alors ? Je ne l'ai pas forcée. Elle est amoureuse de moi.
C'est
impossible.
Qu'est-ce
que vous croyez ? Allez lui demander. Je ne l'ai pas forcée.
Pas une seconde. J'ai même mis du temps à céder.
Mais demandez-lui.
C'est
impossible.
Pourquoi
? Vous préféreriez un viol ?
Il
s'allongea, d'un saut, sur le canapé, insouciant, indifférent,
sarcastique. Il ne comprenait même pas mon effondrement.
Mais,
Heinrich, comment as-tu pu me faire ça à moi ? A
moi ?
Vous
et elle, vous êtes des personnes différentes. Je ne vois
pas le rapport.
C'est
ma fille, Heinrich, j'en suis responsable, je la protège. Et
toi, tu es presque mon fils et je croyais que tu étais mon ami
et que tu la protégeais aussi.
J'attendis.
Je lui laissai le temps de prendre conscience, d'avoir honte, de
regretter, de s'excuser. Après dix minutes, il sauta sur ses
jambes, me regarda avec impatience, sinon agacement, et demanda
sèchement :
Bon,
c'est fini ? J'ai horreur de ce genre de scènes. Je monte
prendre une douche dans ma chambre.
Et
il quitta la pièce.
Ce
fut à cet instant, vraiment, que je compris.
Heinrich
était vide de toute valeur morale, de tout sentiment. Il avait
sauté une gamine parce qu'il en avait envie et qu'elle le
voulait bien. Rien d'autre à ses yeux.
J'allai
rejoindre Sophie qui pleurait dans son lit. Je voulus la prendre dans
mes bras pour la consoler, l'assurer de mon affection mais elle se
raidit et s'écarta au bout du lit. Elle ne supportait déjà
plus que les embrassades d'Heinrich !
Je
tentai de parler avec elle et je découvris les ravages faits
par le démon. Oui, elle l'aimait. Mais d'ailleurs, tout le
monde l'aimait dans la famille, et moi, son père, en premier,
qui l'avais imposé à tous. En quoi était-elle
coupable ? Heinrich était beau et, moi-même je le
disais, il était un génie. Alors ?
Alors,
tu ne vis pas la même chose que lui, ma chérie. Tu
l'aimes mais lui ne t'aime pas.
Comment
peux-tu dire ça ? On ne peut pas m'aimer, c'est ça !
Oh
si, on peut t’aimer. Et moi je t'aime, et ta mère
t'aime, et Rembrandt, et Lucie, et tant d'autres déjà
et tant d'autres qui viendront, mais pas Heinrich.
Pourquoi
?
Parce
que Heinrich est un monstre. Un animal cupide, intéressé,
à la seule écoute de ses désirs, sans barrière
morale ni sens de l'amitié, incapable d'aimer.
Je
te déteste. Tu dis ça parce que tu es jaloux.
Je
vous épargne, chère Lucie, le reste de la nuit. Sophie
ne voulait reconnaître qu'un prince charmant en Heinrich et
moi, qui l'avais tant cru aussi, comment aurais-je pu la convaincre
du contraire ?
Heinrich
disparut le lendemain. Sans un mot ni une explication. De ses
cadeaux, cette brutalité est celui dont je le remercie le plus
car il me permit de convaincre Sophie que j'avais raison. Depuis,
elle erre.
Nous
avons appris qu'Heinrich loge chez plusieurs personnes — une
Américaine milliardaire sensible aux charmes des éphèbes,
un vieux galeriste
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