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La Part De L'Autre

Titel: La Part De L'Autre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric-Emmanuel Schmitt
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la vérité qui nous est favorable. A
nous. L'Allemagne au-dessus de tout. De tout.
    Après
quelques semaines de formation, Hitler et les autres « enragés
volontaires » avaient quitté Munich et suivi le Rhin
pour s'acheminer vers l'ouest. En présence du fleuve, Hitler
éprouva une émotion quasi religieuse. Le Rhin avançait,
large et majestueux, dans sa belle eau verte, des bois se levaient
comme des grands rideaux sombres sur des villages paisibles, inondés
de soleil, enguirlandés de fleurs, d'où jaillissaient
un clocher, un chant de cloche, un vieil air de piano. C'était
l'Allemagne, son sang émeraude, son Graal. Il allait se battre
pour défendre cela. Sa poitrine devenait trop étroite
pour contenir son enthousiasme. Pourvu
que l'Allemagne ne gagne pas trop vite. Lorsqu'il
arrachait la presse aux crieurs de journaux et qu'il lisait, en gros
titres, l'annonce des victoires ou la glorification des héros,
l'amertume ajoutait sa goutte d'aigreur à sa joie sincère.
Chaque nouveau triomphe l'inquiétait. Arriverait-il trop tard
au front ?
    Le
train les déposa en Flandre par une nuit froide et humide.
Lorsque la troupe marchait pour rejoindre le baraquement près
d'Ypres, une explosion retentit, un obus passa au-dessus d'eux et
explosa à l'arrière de leur colonne. Eclairs... Eclats.
Dix hommes moururent sur-le-champ. La fumée et la poudre ne
s'étaient pas encore dissipées qu'Hitler hurlait déjà
:
Hourra
!
    Deux
cents gosiers répétèrent immédiatement :
Hourra
!
    Hitler
exultait : ouf, il n'était pas trop tard.
    Ils
arrivèrent à la frontière où crépitaient
les balles, bourdonnaient les canons, s'époumonaient les
officiers, vagissaient les blessés, agonisaient les corps
tombés hors des tranchées, et là, dans une cagna
de fortune aux planches mal jointes, bercé par le bruit de la
guerre, Hitler dormit enfin du sommeil du Juste arrivé à
temps.
    Le
lendemain, il se leva et bondit admirer la vie du camp.
    Sortant
de kilomètres de tranchées, de boyaux et de sapes, les
brancardiers, la nuque rouge et suante, apportaient en hâte les
soldats tombés cette nuit-là et triaient les morts et
les blessés.
    Médecins
et infirmiers ne perdaient pas une seconde. Derrière eux : on
piquait, on amputait, on évacuait. Déjà des
bâches de tente recouvraient les morts d'un linceul ; un
secrétaire inscrivait les noms des disparus, un autre allait
écrire aux familles ; un sergent redistribuait leurs bottes,
leurs armes et leurs ceinturons, tout ce qui n'avait pas été
endommagé. Arrivaient alors les officiers du génie,
l'ingénieur des fortifications, l'ingénieur des eaux ;
professionnels, ils ne considéraient le champ de bataille
qu'en fonction de leur seule spécialité ; ils donnaient
leurs ordres aux groupes de travailleurs ; il fallait creuser,
recreuser, édifier des abris, en réédifier
d'autres, fondre des appuis de béton, en refondre de nouveaux,
menuiser, étayer, relever, niveler, ravaler, terrasser,
excaver, forer de nouveaux puits, fouir de nouveaux écoulements
pour les eaux, réparer les anciens, fermer des feuillées,
en ouvrir d'autres. Les détachements de travailleurs, des
vieux plutôt branlants, envahissaient les galeries comme des
fourmis afin de tout nettoyer. Les chefs d’artillerie
vérifiaient que les mitrailleuses n'étaient pas
enrayées. L'officier de protection contre les gaz déclenchait
une fausse alerte pour vérifier que tout le monde était
pourvu d'un masque et engueuler ceux qui mettaient plus de quinze
secondes à le mettre. Le courrier arrivait. Les cuisiniers
livraient une bassine de pain trempé dans le lait chaud. Tout
cela était admirable, une merveille d'organisation. Hitler
était conquis par cette intelligence, cette mobilisation de
toutes les compétences, cette société parfaite,
cette société totale.
    Il
avait été nommé estafette du 1er bataillon du 2e
régiment d'infanterie. Il était chargé de
communiquer les ordres de l'état-major aux soldats. Il
obéissait à l'adjudant Hugo Gutmann, un bel homme brun
aux moustaches lustrées, au torse avantageux — larges
épaules et taille étroite —, à l'œil
clair, au verbe haut, le sous-officier idéal, un sous-officier co mme
on en voit sur les gravures, et qu'Hitler idolâtrait déjà.
Dites
aux hommes que le baptême du feu aura lieu dans quatre jours.
    Quatre
jours, ça allait être une attente insupportable.
    Hitler
occupa son temps à parler avec des soldats au front

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