La passagère du France
qui, avec un imbécile, jouait à lancer des bouteilles à tort et à travers » ?
La colère de Sophie tomba d’un seul coup. Si elle était déterminée à faire quelque chose, elle n’avait aucune idée de la façon dont il fallait procéder. Aller donner des conseils à l’état-major du France pour ces deux marins, la démarche s’annonçait compliquée, pour ne pas dire irréalisable, et surtout complètement déplacée. Si elle racontait tout ce qu’elle savait et qu’elle avait vu, ça tournerait immanquablement, entre ces hommes, à la sanction, au conflit, et à la lutte. Ces dernières heures lui avaient révélé ce dont ils étaient capables. Une idée lui vint alors. Et si les femmes agissaient ensemble ? Sophie se sentait capable de les convaincre. Elles comprendraient et arriveraient peut-être à désamorcer cet engrenage. Elle décida d’aller trouver Chantal. Elle lui dirait qu’elle avait réfléchi et qu’elle était prête à l’aider.
— Je t’accompagne, dit Béatrice, très contrariée de cette initiative, mais qui préférait suivre l’histoire de près, au cas où. Sais-tu au moins où elle est, cette Chantal ?
Oui, répondit Sophie. Elle m’a dit qu’elle travaillait au pressing.
39
Quand Michèle vit arriver Sophie et Béatrice dans son carré de vapeurs suffocantes et de buées épaisses, elle fut immédiatement sur ses gardes. Ces élégantes ne venaient sûrement pas pour une histoire de linge, elles étaient plutôt du genre à laisser le petit personnel de service se débrouiller avec. Alors, que venaient-elles faire au pressing ?
Tirant sur sa blouse blanche, elle releva ses cheveux du plat de la main en mettant bien en évidence ses ongles rouges vernis et, d’un pas lent de reine dérangée, elle s’avança avec son air des mauvais jours.
— Vous désirez ?
— Est-ce qu’une certaine Chantal serait là ? demanda Sophie tout en notant son ton désagréable.
Ça alors ! se dit Michèle, stupéfaite. Et qu’est-ce qu’elles lui veulent à Chantal ?
— Une « certaine » Chantal, dites-vous ? répondit-elle alors ironiquement en appuyant volontairement sur l’adjectif.
Tout en parlant, elle surprit Béatrice qui la regardait de son air hautain et elle s’imagina que cette dernière la prenait de haut. Or l’air hautain de Béatrice était tout simplement celui qu’elle avait en permanence. Contrariée, Michèle décida alors que, quel que soit le renseignement que ces filles lui demanderaient, elles ne l’obtiendraient pas. De son côté, Sophie comprenait que si elle voulait arriver à ses fins avec cette femme, il lui faudrait faire preuve de diplomatie.
— Excusez-moi, dit-elle, je ne voulais pas être désagréable. Mais une jeune femme qui s’appelle Chantal est venue me voir hier matin et je n’ai pas pensé à lui demander son nom de famille. C’est pour ça que je disais une « certaine » Chantal. Elle avait des soucis...
Michèle fronça les sourcils. Ainsi Chantal aurait des soucis, ces filles seraient au courant et pas elle ?
— Ah bon, lâcha-t-elle, intriguée, elle a des soucis ? Et lesquels ?
— Oh, rien. C’est personnel. On peut la voir ? Elle est ici ?
Sophie venait de mettre le pied sur un territoire sensible, celui de Michèle, première informée de tout ce qui se passait sur ce navire. Rien ne lui échappait et elle ne pouvait admettre que ces deux pimbêches viennent lui en apprendre.
— Chantal n’est pas là, mais, si ce que vous avez à lui transmettre est personnel, vous ne pouviez pas mieux tomber, dites-le-moi, et je lui ferai la commission.
Agacée par cette femme qui jouait les gardes-chiourmes, Béatrice s’interposa.
— Écoutez, dit-elle d’un ton sec, c’est une affaire entre elle et nous. Ça ne vous regarde pas. On vous demande simplement de nous dire si elle travaille ici, oui ou non. Et si elle est là, allez nous la chercher, on veut la voir.
Sophie se mordit les lèvres. Après une telle sortie, il ne fallait pas s’attendre à ce que cette Michèle les aide.
— Dites-moi, fit cette dernière d’un ton de miel, dans quelle cabine êtes-vous ?
— En première au sundeck, s’empressa Béatrice qui, bien que ne voyant pas le sens de la question, pensait l’impressionner à l’annonce d’une cabine aussi prestigieuse.
— À l’appartement Provence, peut-être ? insista Michèle, toujours d’un ton de miel.
— Tout à fait ! Comment le
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