La Perle de l'empereur
le voleur de la princesse ? Pourquoi deux bracelets seulement alors que nombre d’autres bijoux s’offraient à sa convoitise ?
— Comment voulez-vous que je réponde à cette question ? Ses motivations me sont complètement étrangères…
— Sans doute, sans doute ! Pourtant la princesse Brinda a bien voulu me confier que ces pièces étaient les seules à ne pas être de provenance indienne, ou commandées à des joailliers de la rue de la Paix ou de la place Vendôme. Son époux, sachant sa passion pour les rubis, les a achetés pour elle à une vente russe. Étrange, non ?
Le ton des dernières paroles s’était fait curieusement sévère et, quand le policier eut disparu, Aldo se tourna vers son ami :
— Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que c’est moi qui les ai volés ?
— Non, mais je me demande si tu ne devrais pas lui dire ce que tu sais à propos de la belle comtesse. Il est de ceux qui savent se renseigner…
— Et moi, je me demande si je ne devrais pas prendre le premier train pour Venise ! J’en ai par dessus la tête de ces histoires !
— Ce ne serait pas une bonne idée !… Crois-moi ajouta Adalbert en se servant un autre verre, tu devrais mettre un peu de côté tes sentiments chevaleresques et lui toucher deux mots de Tania. Après tout elle s’en trouverait peut-être plus heureuse ?
— Peut-être, en effet !… J’irai la voir demain matin et nous déciderons ensuite. Allons dîner, je meurs de faim !
Théobald venait de s’encadrer dans la porte de la salle à manger pour annoncer que le dîner était servi, mais il était écrit sur les tablettes d’un espion particulièrement contrariant que Morosini aurait toutes les peines du monde à le digérer car, lorsqu’il rentra dans sa chambre avec l’intention de s’offrir une longue nuit de repos, il vit soudain accroché au bras de la Fortune de bronze doré demi étendue sur le cadran de la pendule, placée sur la cheminée, quelque chose qui lui coupa le souffle : les deux bracelets de rubis de la princesse Brinda !
Sans oser y toucher, il contempla d’un œil incrédule les larges cercles d’or pavés de magnifiques pierres calibrées qui devaient peser chacune entre deux et trois carats. Elles étaient superbes et leur couleur « sang de pigeon » admirable ; mais ce fut pourtant avec une horreur rétrospective qu’il les contempla. Si d’aventure Langlois avait émis l’intention de visiter sa chambre… La seconde pensée fut d’ordre plus pratique : comment ces sacrés bijoux étaient-ils arrivés chez lui ? Il ouvrit la porte pour appeler Théobald qui ne devait pas encore être couché quand un léger courant d’air fit battre la fenêtre derrière son dos, attirant son attention. Or, quand il faisait chaque soir les couvertures, Théobald avait l’habitude de fermer soigneusement les fenêtres et de tirer les rideaux. Ceux-ci étaient en place mais la croisée était bel et bien ouverte.
Elle donnait comme celles des autres chambres de l’immeuble déjà ancien sur un petit jardin intérieur dont le centre était un jet d’eau qui apportait en été une agréable fraîcheur. Et, comme l’appartement d’Adalbert était au premier étage sur entresol il n’était pas difficile de deviner par quel chemin on avait apporté le cadeau empoisonné : les architectes du baron Haussmann s’étaient parfois donné du mal pour ornementer à profusion ces constructions « modernes ». Cela offrait de vrais boulevards à un cambrioleur un peu agile ! L’instant suivant, Aldo déboulait chez Adalbert qui se disposait lui aussi à se coucher.
— Viens voir ! fit-il sobrement.
— Voir quoi ?
— Viens toujours !
Mis en face de la Fortune si somptueusement parée, Adalbert émit un « ah ! » consterné ; puis tirant de sa poche un crayon, il s’en servit pour ôter les bracelets sans y mettre les mains, alla jusqu’au qu’au secrétaire Empire qui était l’un des plus beaux meubles de la chambre, y prit deux enveloppes, glissa les bracelets dedans et colla les rabats du mieux qu’il put, puis exhala un soupir de satisfaction :
— Voilà !… Au fait, tu n’y avais pas touché ?
— Je ne suis pas fou.
— Dans ce cas il ne restera plus qu’à porter ceci dès demain, à notre ami Langlois qui n’aura qu’à les rendre à leur propriétaire, mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on s’est donné la peine de te les
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