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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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à la dérive comme un immense bateau pris par l’incendie ; puis des rayons d’or l’envahirent de toutes parts. Haguenier regardait sans penser à rien. Tout d’un coup il entendit distinctement une voix qui disait : « Haguenier, frère. » Il eut peur, car c’était la voix d’Ernaut. « Frère, dit encore la voix. — Ernaut, ami, je viens. Où es-tu ? » Il se leva et se mit à marcher au hasard vers la rivière.
    Devant lui l’herbe se mêlait déjà aux roseaux. Il recula, retourna sur ses pas, vers son cheval. À quel péché le diable voulait-il l’entraîner ? Il se signa plusieurs fois. « Ô Sainte Marie, Dame, Vierge très pure, protégez-moi. Sans même m’en rendre compte j’allais commettre le pire des péchés. Être couché là au fond de l’eau, dans la vase et les herbes noires ; sous l’eau qui coule et qui fuit depuis toujours et ne revient jamais à sa source. Ce n’est que mirage et mensonge – ô éternelle beauté, qui accueilles dans ton grand repos herbes et bêtes, la fourmi et le sanglier et le corbeau, pour l’homme tu ne peux rien, pour l’homme qui ne peut trouver de repos qu’en Dieu et tourment partout ailleurs. Tant il est vrai que comme nature absorbe et broie et fait fleurir de nouveau toute chair, la volonté de Dieu prend en elle les âmes et les fait mourir pour qu’elles germent à nouveau. Mais il n’y a pas de commune mesure entre ce monde et l’homme, et qui pense chercher le repos dans la mort, n’y trouvera que tourment. Ernaut, Ernaut mon frère qui es allé jusqu’au bout pour trouver un apaisement dans la mort de la chair. Que Dieu me donne la force de comprendre que nulle part je n’aurai de paix, et qu’il ne sert à rien de vouloir s’échapper. Mieux vaut vivre mal, soumis aux lois de cette chair que Dieu a créée, que d’être pareil à l’homme qui saccage une terre que son seigneur lui a laissée en dépôt. Son seigneur lui dira : tu es pire qu’un voleur, car le voleur jouit de son vol et peut augmenter la valeur de la terre volée, et puis se repentir et me la rendre au jour où je la demanderai ; mais l’homme qui vole pour détruire est trois fois malhonnête, il me vole, moi, et la nature, et lui-même.
LA FEMME D’HERBERT
    Pour la Saint-Denis, les seigneurs de Breul et de Vanlay étaient venus à Linnières, pour y organiser un festin en l’honneur d’Amaury, le frère du seigneur de Breul, qui venait d’abattre, seul, un vieil ours connu depuis longtemps dans le pays et qui avait son gîte au nord de la forêt de Linnières. Haguenier avait bien fait observer à la dame Aelis qu’en l’absence de son mari, elle eût mieux fait de ne pas inviter elle-même du monde au château, surtout après ce qui s’était passé en septembre. Aelis avait répondu : « Beau fils, la maison n’est pas sans maître, que je sache, – vous êtes là pour vous porter garant de mon honneur. Et que s’est-il passé pour que nous devions baisser la tête devant nos voisins ?
    — Il y a bien un maître dans la maison, comme vous le dites, mère, mais un maître dont vous ne tenez guère compte. Mais puisque mon père vous a toujours laissé toute liberté, je ne peux rien vous dire.
    — Oui, dit Aelis, il m’a toujours laissé toute liberté. » Haguenier avait levé la tête, surpris par le ton amer dont elle avait dit cela. Il la regarda longuement – elle avait un air absent, comme toujours, mais il y avait quelque chose de pitoyable dans le regard de ses yeux clairs, presque incolores, qui rappelaient bizarrement ceux d’Herbert. « Comme elle est encore jeune et jolie, pensait Haguenier – pourquoi ne l’avais-je jamais remarqué ? »
    Il était assez fâché d’être obligé de recevoir ces hôtes qu’elle lui imposait, « mais après tout, pensait-il, elle n’a pas tort, nous n’avons pas à baisser la tête devant ceux de Breul, ce que mon père a pu faire ne les regarde pas ». Il présida la fête, aux côtés d’Aelis, et s’efforça d’être un hôte aussi courtois que possible.
    Le seigneur de Breul, sa femme et son frère, étaient les meilleurs amis de dame Aelis et, de fait, elle était presque toujours avec eux. Depuis le départ de son mari, elle restait parfois à Breul plusieurs jours de suite, malgré les remontrances de son beau-fils. À présent, c’étaient eux qui étaient installés à Linnières, et dame Aelis exigeait qu’on allumât chaque soir des chandelles de

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