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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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embarrassante : la dame Aelis avait de nouveau invité ses amis de Breul à Linnières, et il était bien obligé de se montrer déférent envers sa belle-mère. Mais il voyait Amaury de Breul porter à son poignet une écharpe bleue pareille à celle de dame Aelis, et choisir toujours les morceaux de gigot que la dame venait de toucher de ses mains, et l’embrasser sur la joue plus longuement que la simple politesse n’eût exigé. On peut être courtois, oui, mais pas à ses propres dépens. Haguenier se souciait peu de l’honneur d’un Jacques de Pouilli, qu’il aimait pourtant, mais c’était autre chose quand il s’agissait de son propre père. Il n’était pas d’humeur à faire espionner sa belle-mère ni qui que ce soit, et se décida à jouer franc jeu.
    Il prit Amaury de Breul à part, sous prétexte de lui apprendre les paroles d’une chanson que le jeune homme aimait beaucoup – il ne lisait pas assez bien pour l’apprendre sur un texte écrit. Et quand ils se furent installés sur leur banc, près du feu, Haguenier dit : « Or ça, seigneur écuyer, je ne vous ai pas amené là que pour vous parler d’airs et de chansons. Je crois que vous êtes plus âgé que moi, mais comme je suis chevalier, cela me donne le droit de vous donner un conseil, sans que cela doive vous vexer. »
    Amaury le regarda droit dans les yeux et répondit : « Cela dépend du genre de conseil. » Haguenier soutint longuement, sans sourciller, le regard de l’autre. Le garçon avait de beaux yeux, hardis, très bleus ; il était roux, sans grande beauté, mais le visage haut en couleur, frais et ouvert, très plaisant à voir. « Quoi d’étonnant, pensait Haguenier, si elle le préfère à mon père ? »
    « Un très bon conseil, dit-il enfin. C’est de ne jamais vous conduire de telle façon qu’une noble femme puisse être blâmée à cause de vous. »
    Amaury s’était redressé. « Le conseil est bon, dit-il, mais la façon de le donner ne l’est pas. À quelle femme pensez-vous ?
    — Vous le savez bien. Une femme qui me touche de près. C’est pour cela que je vous le dis.
    — Est-ce une menace ?
    — Dieu m’en garde. Je vous donne mon avis, c’est tout. Un homme qui fait du tort à une femme sans penser à ce qu’elle risque ne mérite pas d’être traité autrement qu’un chien galeux. J’aime à croire que vous n’êtes pas de ces gens-là.
    — Je ne vois pas de quel droit vous me parlez ainsi, dit Amaury, quand on raconte dans le pays que vous-même avez fait un enfant à une dame mariée. »
    Haguenier ne comprit pas tout d’abord de quoi l’autre voulait parler, puis brusquement il devint très rouge ; il était trop suffoqué pour parler et se serrait les mains derrière le dos, par crainte d’être tenté de frapper.
    « Je voudrais bien connaître les gens qui le racontent, dit-il à la fin d’une voix qu’il n’arrivait pas à rendre égale. Car je dois bien les traiter comme mes pires ennemis, et vous aussi, qui les avez crus. Si je vous ai offensé, nous sommes quittes. Nous nous reverrons ailleurs. »
    Le soir même, il déclara à la dame Aelis qu’elle devait renvoyer ses amis, il ne tenait plus à les loger. Aelis, déjà instruite de la querelle par Amaury de Breul, déclara à son beau-fils qu’elle ne voulait plus lui parler. « Jamais, dit-elle, votre père n’a douté de moi, et c’est à lui que vous allez répondre de cette insulte. Vous voulez me ridiculiser aux yeux de mes amis. De quoi vous mêlez-vous ? Qui vous a fait mon geôlier ? Tant que votre père n’est pas là, je préfère demander l’hospitalité de dame Béatrix, plutôt que de rester ici avec vous.
    — Ça, je vous le défends, dit Haguenier, vous irez chez la dame de Buchie, ma tante, ou vous irez vivre à Bernon.
    — Jamais de la vie. Mais si vous ne me permettez pas d’aller à Breul, je pars demain même pour Bercenay, qui est à moi, et je vous fais fermer la porte au nez si jamais vous vous avisez d’y venir pour m’espionner. »
    Le lendemain, elle quitta le château avec ses quatre filles, et les seigneurs de Breul et dame Béatrix l’accompagnèrent jusqu’à Bercenay et y restèrent deux semaines avec elle.
    Haguenier se trouvait donc ainsi avec une affaire d’honneur sur les bras, et plus perplexe encore qu’avant sa querelle avec Amaury. Sur le coup, il n’avait pensé qu’à l’insulte faite à Marie, et s’était dit qu’il lui faudrait

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