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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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rassembler ses amis et parents et confondre Amaury devant toute la noblesse du pays, armes à la main. Mais en y réfléchissant bien, il comprit que cela ne pourrait que faire du tort à Marie : l’insulte n’ayant pas été publique, la vengeance ne devait pas l’être non plus.
    Et pour ce qui était de dame Aelis, il s’était ôté lui-même le moyen de la surveiller, et n’avait pas le droit de s’attaquer à un homme sur de simples soupçons. « Voilà le malheur d’être trop franc, se disait-il. Je sais bien que mon père n’y eût pas regardé deux fois pour agir, je devrais donc le faire aussi, du moment que je tiens sa place en son absence. Mais si ce garçon est innocent, je ferais une grande injustice en le provoquant, car je suis plus fort en armes que lui. »
    Il savait bien qu’il était inutile de demander conseil à l’abbé de Saint-Florentin. « Il me dira que ce n’est que péché et vanité mondaine, et que celui qui prend l’épée périra par l’épée. Mais puisqu’il me faut vivre selon les lois du monde, je suis bien forcé de défendre l’honneur de la maison. Si c’est un péché, je n’y peux rien. »
    « Ah ! misère de la chair, pensait-il, misère de nous autres qui ne pouvons aller que de péché en péché, et tomber dans des tentations pires pour éviter les moindres. Je ne sais plus où j’en suis. Car nous devons bien pardonner les offenses qu’on nous a faites, mais comment ne pas se venger des offenses qu’on fait aux autres ? Quand on offense mon père et ma dame, ce n’est pas à moi de pardonner. Pourquoi suis-je forcé, maintenant, de tomber dans un tel péché et de faire du mal à un homme qui n’est pas mauvais et qui n’a rien fait dont j’aie droit de le blâmer ? Car si Foulque de Mongenost avait un fils, ce fils eût pensé de moi exactement ce que je pense d’Amaury de Breul. »
    Une nouvelle tentation le harcelait, pire que toutes les autres ; jusqu’ici, la grossesse de Marie était comme son secret à lui, tout douloureux qu’il fût, il avait fini par s’y résigner et par se faire une raison. À présent, on le lui lançait brutalement au visage et il se sentait plus humilié que s’il avait vraiment été le père de cet enfant. À présent, c’était contre Marie que se tournait sa rancune. « Vase fragile, vraiment, et créature impure dans son essence, puisque sa chair est à ce point à la merci d’une volonté étrangère. C’est l’œuvre de nature, et son âme n’y est pour rien. Mais voilà que son corps est pris par une vie qui croît en elle, et comment penser que son âme n’en soit pas atteinte ? Les louves et les laies s’attachent à leurs petits ; et la nature a voulu que la femme soit aussi faite de cette façon. Bien fou l’homme qui se met à la merci de cet être de chair fait pour produire de la chair.
    » Et c’est au moment où elle disait m’aimer le plus – quand, comment, le saurai-je jamais ? Moi, du moins, je lui étais fidèle, je le suis encore. Et elle m’a fait griller à petit feu et renvoyé sans remords, et tout cela pour qu’un blanc-bec de petit vavasseur se permette encore de la traiter devant moi comme une femme légère. »
    Et plus il y pensait, plus il voyait qu’il n’y avait pas d’autre issue, et que son devoir le plus strict lui ordonnait de provoquer Amaury de Breul, et pourtant il n’arrivait à éprouver pour le jeune homme ni haine ni colère.
    Quand il eut appris que les seigneurs de Breul étaient rentrés chez eux, et se préparaient à se rendre à Troyes pour les fêtes de Noël, il fit seller ses chevaux et partit avec Adam et le petit Joceran, pour attendre ses nouveaux ennemis au carrefour de Chaource. Il n’était pas armé, et s’était seulement muni d’une petite lance et d’une épée légère ; comme il faisait froid, il avait mis un solide pourpoint de cuir et de gros gants à plaquettes de fer.
    Il neigeait, et la terre était couverte d’une mince couche de verglas. Les branches des arbres craquaient au vent, et la neige, balayée par les rafales, s’amassait près des talus et dans le creux des ornières. Les deux seigneurs de Breul et la dame Béatrix, accompagnés de trois valets à cheval et d’une demoiselle, s’étaient arrêtés au carrefour, où la route était plus glissante qu’en forêt, et la dame s’était mise à secouer sa cape enneigée riant à la bourrasque qui s’engouffrait dans son capuchon. Les

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