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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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dans la bagarre. L’ayant retrouvé,
il s’en coiffa avec soin, ce qui de nouveau cacha son inquiétant visage. Il s’éloigna
de plus en plus vite, jusqu’à ce qu’il parût porté par le vent.
    Tout s’était déroulé si rapidement
que ni les centaines d’ouvriers du voisinage, ni leurs surveillants n’avaient
rien remarqué. Les uns continuaient de peiner comme des fourmis tandis que les
autres, armés de fouets et de matraques, braillaient des ordres à leurs dos en
nage.
    Mais une paire d’yeux avait tout
vu. Debout au sommet d’un haut échafaudage dominant tout le chantier se tenait
le surveillant général des charpentiers et scieurs de bois. Voyant s’échapper l’apprenti
guerrier, il rugit un ordre qui mit en mouvement un groupe de simples soldats
en train de boire du thé sous l’échafaudage.
    — Qu’est-ce qui s’est passé ?
    — Encore une bagarre ?
    D’autres entendirent l’appel aux
armes, et bientôt soulevèrent un nuage de poussière jaune, près de la porte en
bois de la palissade qui séparait du village le chantier de construction. Des
cris de colère s’élevaient de la multitude.
    — C’est un espion ! Un
espion d’Osaka !
    — Ils ne comprendront donc
jamais !
    — A mort ! A mort !
    Les haleurs de pierre, les
transporteurs de terre et d’autres, criant comme si l’« espion »
était leur ennemi personnel, foncèrent sur le samouraï sans menton. Il s’élança
derrière un char à bœufs qui passait lentement la porte, et tenta de se glisser
au-dehors, mais une sentinelle l’aperçut et lui fit un croc-en-jambe avec un
bâton clouté.
    — Ne le laissez pas s’échapper !
cria le surveillant du haut de son échafaudage.
    Sans hésiter, la foule tomba sur
le misérable, qui contre-attaqua comme une bête prise au piège. Ayant arraché
le bâton à la sentinelle, il se retourna contre elle, et avec la pointe de l’arme
l’abattit la tête la première. Après avoir abattu de la même façon quatre ou
cinq autres hommes, il tira son énorme sabre et passa à l’attaque. Ses
poursuivants terrifiés reculèrent ; mais comme il s’apprêtait à se tailler
un chemin hors du cercle, un barrage de pierres s’abattit sur lui de toutes
parts.
    La foule déchargeait sa bile avec
entrain, d’humeur d’autant plus meurtrière à cause d’une répulsion profonde envers
tous les shugyōshas . Pareils à la plupart des gens du peuple, ces
ouvriers considéraient les samouraïs errants comme inutiles, improductifs et
arrogants.
    — Cessez de vous conduire en
rustres stupides ! cria le samouraï cerné, en appelant à la raison et à la
retenue.
    Il avait beau se défendre, il
paraissait plus soucieux de réprimander ses assaillants que d’éviter les
pierres qu’ils lui jetaient. Maints badauds innocents furent blessés dans la
mêlée.
    Puis, en un clin d’œil, tout fut
terminé. Les cris cessèrent, et les ouvriers retournèrent à leur travail. En
cinq minutes, le vaste chantier de construction redevint exactement ce qu’il
était, comme si rien n’avait eu lieu. Les étincelles jaillies des divers
instruments tranchants, les hennissements des chevaux affolés par le soleil, la
chaleur accablante : tout redevint normal.
    Deux gardes surveillaient la forme
effondrée, ligotée d’une épaisse corde de chanvre.
    — Il est mort à
quatre-vingt-dix pour cent, dit l’un ; aussi, nous pouvons le laisser là
jusqu’à l’arrivée du juge.
    Il regarda autour de lui, et vit
Matahachi.
    — ... Eh, toi, là-bas !
Surveille cet homme. S’il meurt, ça n’a aucune importance.
    Matahachi entendit ces paroles,
mais ne parvint à comprendre tout à fait ni leur sens, ni celui de l’événement
auquel il venait d’assister. Tout cela ressemblait à un cauchemar, visible pour
ses yeux, audible pour ses oreilles, mais incompréhensible pour son cerveau.
    « Que la vie est donc fragile !
se disait-il. Voilà quelques minutes, il était absorbé dans ses croquis. Et
maintenant, il meurt. Il n’était pas bien vieux. »
    Il avait pitié du samouraï sans
menton, dont la tête, qui gisait de travers au sol, était noire de poussière et
de sang, la face encore convulsée par la colère. La corde l’ancrait à une
grosse pierre. Matahachi se demandait vaguement pourquoi les fonctionnaires
avaient pris de telles précautions alors que l’homme était trop près de la mort
pour émettre un son. A moins qu’il ne fût déjà mort. Une de ses

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