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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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alors qu’il
contemplait la face effrayante, il entendit des pas qui s’approchaient. Caché
derrière une pierre, il vit des samouraïs qui venaient chercher le corps. Si on
le prenait avec les affaires du mort, il aurait de graves ennuis. Il s’éloigna
en rampant d’ombre en ombre derrière les pierres, comme un rat des champs.
    Deux heures plus tard, il arriva à
la confiserie où il habitait. A côté de la maison, la femme du boutiquier se
lavait dans une cuvette. L’entendant remuer à l’intérieur, elle montra de derrière
la porte latérale une partie de sa chair blanche, et cria :
    — C’est vous, Matahachi ?
    Répondant par un fort grognement,
il s’élança dans sa propre chambre, et attrapa dans une commode un kimono ainsi
que son sabre ; puis il se noua autour de la tête une serviette de
toilette roulée, et se disposa à réenfiler ses sandales.
    — Il ne fait pas trop sombre,
là-dedans ? cria la femme.
    — Non, j’y vois suffisamment.
    — Je vais vous apporter une
lampe.
    — Inutile. Je sors.
    — Vous n’allez pas vous laver ?
    — Non. Plus tard.
    Il se précipita dans le champ, et
s’éloigna rapidement de la pauvre maison. Quelques minutes plus tard, se
retournant, il vit un groupe de samouraïs, du château sans aucun doute, sortir
de derrière les miscanthus, dans le champ. Ils entrèrent dans la confiserie,
par le devant et par le derrière à la fois.
    « Je l’ai échappé belle, se
dit-il. Bien sûr, je n’ai pas vraiment volé quoi que ce soit. Je l’ai seulement
pris en garde. C’était mon devoir. Il m’en avait supplié. »
    Selon ses critères, aussi
longtemps qu’il reconnaissait que ces objets n’étaient pas à lui, il n’avait commis
aucun délit. En même temps, il se rendait compte qu’il ne pourrait jamais reparaître
au chantier de construction.
    Les miscanthus montaient jusqu’à
ses épaules, et un voile de brume vespérale flottait par-dessus. De loin, nul
ne pouvait le voir ; s’enfuir serait facile. Mais de quel côté aller
posait un problème difficile, d’autant plus que Matahachi croyait fortement que
la chance était dans une direction, dans une autre la malchance.
    Osaka ? Kyoto ? Nagoya ?
Edo ? Dans aucun de ces lieux il n’avait d’amis ; autant jouer aux
dés la décision. Avec les dés comme avec Matahachi, tout était hasard. Le vent
qui soufflerait l’emporterait avec lui.
    Il lui semblait que plus il
marchait, plus il s’enfonçait dans les miscanthus. Des insectes bourdonnaient
autour de lui, et la brume en tombant mouillait ses vêtements. Les ourlets
trempés se tire-bouchonnaient autour de ses jambes. Des graines s’accrochaient
à ses manches. Ses jarrets le démangeaient. Le souvenir de sa nausée de la
mi-journée était loin, maintenant, et il avait douloureusement faim. Une fois
qu’il se sentit hors d’atteinte de ses poursuivants, la marche lui devint un
supplice.
    L’irrésistible désir de trouver un
endroit où s’étendre pour se reposer lui fit traverser le champ, au-delà duquel
il repéra le toit d’une maison. En s’approchant, il vit que la clôture et le portail
étaient l’un et l’autre de travers, endommagés, semblait-il, par une tempête
récente. Le toit, lui aussi, avait besoin de réparation. Pourtant, autrefois,
la maison devait avoir appartenu à une famille riche, car elle respirait une
certaine élégance défraîchie. Il imagina une belle dame de la cour, assise dans
un carrosse aux tentures somptueuses qui approchait de la maison à une allure
majestueuse.
    En franchissant le portail qui paraissait
abandonné, il constata que la maison principale et une annexe plus petite
étaient presque enfouies sous les mauvaises herbes. Ce décor lui rappela un
passage du poète Saigyō qu’on lui avait fait apprendre dans son enfance :
     
    J’appris qu’une personne de ma connaissance vivait à
Fushimi ; j’allai lui rendre visite, mais le jardin était si envahi de
mauvaises herbes ! Je ne pouvais même pas distinguer l’allée.
    Au chant des insectes, je composai ce poème :
     
    En traversant les mauvaises herbes,
    Je cache mes larmes
    Aux plis de ma manche.
    Dans ce jardin plein de rosée,
    Pleurent jusqu’aux humbles insectes.
     
    Le cœur glacé, Matahachi se
blottit près de la maison en murmurant les mots si longtemps oubliés.
    Au moment précis où il allait
conclure que la demeure était vide, une lumière rouge apparut, venue de ses
profondeurs.

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