La pierre et le sabre
de
maître du navire il devait d’abord trouver le responsable. Debout sur une pile
de marchandises, il s’adressa aux passagers :
— A qui au juste appartient
ce singe ? Son propriétaire est prié de se présenter.
Pas une âme ne répondit ;
mais un certain nombre de gens qui savaient que le singe appartenait au beau
jeune homme le regardaient avec une expression d’attente. Le capitaine savait,
lui aussi ; le mutisme de l’adolescent l’irrita. Haussant le ton davantage
encore, il dit :
— ... Le propriétaire n’est
pas là ?... Si le singe n’appartient à personne, je m’en charge ;
mais ensuite, je ne veux pas de réclamations.
Le propriétaire du singe, appuyé
contre des bagages, avait l’air profondément absorbé dans ses pensées. Quelques
passagers se mirent à chuchoter avec désapprobation ; le capitaine
foudroyait l’adolescent du regard. Les joueurs de cartes grommelaient des
propos malveillants ; d’autres commençaient à se demander si le jeune
homme était sourd-muet, ou seulement insolent. Mais l’adolescent se contenta de
s’écarter quelque peu, et fit comme si de rien n’était.
Le capitaine reprit la parole :
— Il semble que les singes
soient des animaux marins aussi bien que terrestres. Comme vous pouvez le voir,
l’un d’eux a grimpé à bord. Comme il n’appartient à personne, je suppose que
nous pouvons en faire tout ce qui nous plaît. Messieurs les passagers, je vous
prends à témoin ! En ma qualité de capitaine, j’ai prié le propriétaire de
se faire connaître, mais il ne l’a pas fait. S’il se plaint ensuite de ne pas m’avoir
entendu, je vous prie de prendre mon parti !
— Nous sommes vos témoins !
crièrent les marchands, maintenant au bord de l’apoplexie.
Le capitaine descendit l’échelle,
et disparut dans la cale. Quand il en ressortit, il portait un mousquet dont l’amorce
à combustion lente était déjà allumée. Nul ne doutait qu’il ne fût prêt à s’en
servir. Les visages allaient de lui au propriétaire du singe.
Le singe s’amusait comme un fou.
Haut dans les airs, il jouait avec les cartes, et faisait tout ce qu’il pouvait
pour agacer les gens qui se trouvaient sur le pont. Soudain, il montra les
crocs, les fit claquer, et courut à l’extrémité de la vergue ; mais une
fois là, il ne parut plus savoir que faire.
Le capitaine leva le mousquet, et
visa. Mais comme un des marchands le tirait par la manche et le pressait de
faire feu, le propriétaire cria :
— Arrêtez !
Au tour du capitaine, maintenant,
de faire semblant de ne pas entendre. Il appuya sur la gâchette, les passagers
se courbèrent, les mains sur les oreilles, et le mousquet fit feu avec un boum
énorme. Mais le coup passa à côté. Au dernier instant, le jeune homme avait
détourné le canon de l’arme.
Le capitaine, poussant des cris de
rage, saisit le jeune homme au collet. Il y parut un moment suspendu car, bien
que puissamment bâti, il était court à côté du bel adolescent.
— ... Qu’est-ce qui vous prend ?
s’écria le jeune homme. Vous alliez abattre un singe innocent avec ce joujou ?
— Exact.
— Ça n’est pas une chose à
faire, n’est-ce pas ?
— Je vous ai loyalement
prévenu !
— Comment ça ?
— Vous n’avez donc pas d’yeux
et d’oreilles ?
— Silence ! Je suis un
passager à bord de ce bateau. Plus : je suis un samouraï. Croyez-vous donc
que je vais répondre quand un simple capitaine de bateau, dressé devant ses
clients, braille comme s’il était leur seigneur et maître ?
— Pas d’impertinence ! J’ai
répété ma mise en garde à trois reprises. Vous devez m’avoir entendu. Même si
ma façon de m’exprimer vous déplaisait, vous auriez pu montrer un peu de
considération pour les gens que votre singe incommodait.
— Quelles gens ? Ah !
vous voulez dire cette bande de commerçants qui jouaient pour de l’argent
derrière leur rideau ?
— Surveillez vos paroles !
Ils ont payé leur traversée trois fois plus cher que les autres.
— Ce n’en sont pas moins de
vils marchands écervelés qui jettent ostensiblement leur or par les fenêtres,
boivent leur saké, et se conduisent en maîtres du navire. Je les ai observés,
et ils ne me plaisent pas du tout. Le singe s’est enfui avec leurs cartes ;
la belle affaire ! Ce n’est pas moi qui l’y ai poussé. Il n’a fait que les
imiter. Je ne vois pas là matière à présenter des
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