La pierre et le sabre
qu’ils l’ont
emmenée à la palanque de Hinagura, mais je ne sais pas si c’est vrai.
— Hinagura... répéta Takezō.
Ses yeux se tournèrent vers la
chaîne de montagnes qui marquait la frontière de la province. L’ombre des
nuages gris du soir tachetait déjà les crêtes.
Takezō relâcha l’homme. En le
regardant détaler, heureux de sauver sa pauvre existence, Takezō s’écœura
de la lâcheté humaine, lâcheté qui poussait des samouraïs à accuser une femme
sans défense. Il fut content de se retrouver seul. Il avait à réfléchir.
Il ne fut pas long à se décider. « Je
dois sauver Ogin, un point c’est tout. Ma pauvre sœur ! S’ils lui ont fait
du mal, je les tuerai tous. » Ayant choisi son plan d’action, il descendit
vers le village à longues enjambées d’homme.
Deux heures plus tard, Takezō
s’approchait de nouveau furtivement du Shippōji. La cloche du soir venait
de s’arrêter de sonner. Il faisait déjà sombre ; on apercevait les
lumières du temple même, de la cuisine et des logements des prêtres, où l’on
allait et venait.
« Si seulement Otsū
pouvait sortir ! » pensa-t-il.
Il se tapit, immobile, sous le
passage surélevé reliant les logements des prêtres au temple même. L’odeur de
la nourriture que l’on préparait flottait dans l’air, évoquant des images de
riz et de soupe fumante. Depuis quelques jours, Takezō n’avait eu dans l’estomac
que de la chair crue d’oiseau et des pousses d’herbe, et maintenant son estomac
se révoltait. La gorge lui brûlait tandis que lui revenaient d’aigres sucs
gastriques ; sa détresse le fit suffoquer.
— Qu’est-ce que c’était ?
dit une voix.
— Sans doute un simple chat,
répondit Otsū qui sortait chargée d’un plateau pour le dîner, et
traversait le passage, juste au-dessus de la tête de Takezō.
Il essaya de l’appeler, mais il
avait encore trop mal au cœur pour émettre un son intelligible.
Il se révéla que c’était une
chance, car en cet instant précis, une voix masculine, juste derrière Otsū,
demanda :
— Les bains, c’est de quel
côté ?
L’homme portait un kimono emprunté
au temple, attaché par une étroite ceinture d’où pendait un petit gant de
toilette. Takezō reconnut en lui l’un des samouraïs de Himeji. De toute
évidence il était d’un rang élevé, assez élevé pour loger au temple et passer
ses soirées à manger et boire son soûl tandis que ses subordonnés et les villageois
devaient battre jour et nuit les flancs des montagnes à la recherche du
fugitif.
— Les bains ? dit Otsū.
Venez, je vais vous montrer.
Elle déposa son plateau, et se mit
à le conduire le long du passage. Soudain, le samouraï s’élança en avant, et l’étreignit
par-derrière.
— Et si tu me rejoignais au
bain ? lui proposa-t-il d’un ton paillard.
— Arrêtez ! Lâchez-moi !
cria Otsū, mais l’homme, la retournant, lui prit le visage dans ses deux
grosses mains et lui baisa la joue.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
demanda-t-il d’un ton cajoleur. Tu n’aimes donc pas les hommes ?
— Arrêtez ! Il ne faut
pas ! protestait Otsū désemparée.
Alors, le soldat lui appliqua la
main sur la bouche.
Takezō, oublieux du péril,
bondit comme un chat sur le passage, et lança par-derrière un coup de poing à
la tête de l’homme. Il avait frappé fort. Momentanément sans défense, le
samouraï tomba en arrière, toujours agrippé à Otsū. Essayant de lui
échapper, elle poussa un cri aigu. L’homme tombé à terre se mit à vociférer :
— C’est lui ! C’est Takezō !
Il est ici ! Venez l’arrêter !
L’intérieur du temple retentit du
tambourinement des pas et du rugissement des voix. La cloche du temple se mit à
sonner le tocsin : l’on avait découvert Takezō ; une foule d’hommes
venus des bois convergea vers le temple. Mais Takezō était déjà loin, et
peu de temps après on envoya des équipes de recherches fouiller les collines de
Sanumo. Lui-même ne savait guère comment il avait réussi à se glisser à travers
les mailles d’un filet qui se resserrait rapidement ; mais tandis que la
chasse à l’homme battait son plein, il se retrouva loin de là, debout sur le
seuil de la vaste cuisine au sol en terre battue de la maison Hon’iden.
Regardant à l’intérieur faiblement
éclairé, il appela :
— Grand-mère !
— Qui est là ? répondit-on
d’une voix perçante.
Osugi émergea
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