La pierre et le sabre
cela.
Tout en croyant sincèrement aux
dieux, il ne considérait pas comme appartenant à la Voie du samouraï de
rechercher leur aide. La Voie était une vérité suprême, qui transcendait les
dieux et les bouddhas. Musashi recula d’un pas, joignit les mains et, au lieu
de demander protection, remercia les dieux pour leur aide accordée au bon
moment.
Après s’être incliné rapidement,
il s’élança hors de l’enceinte du sanctuaire et dévala l’étroit sentier abrupt,
le type de sentier qu’une forte averse transformerait vite en un torrent.
Cailloux et mottes de terre friable tambourinaient sous ses talons, rompant le
silence. Quand le pin parasol réapparut, Musashi sauta hors du sentier et se
tapit dans les buissons. Pas une goutte de rosée n’était encore tombée des
feuilles ; aussi eut-il bientôt les genoux et le torse trempés. Le pin n’était
guère à plus de quarante ou cinquante pas au-dessous de lui. Dans ses branches,
il pouvait distinguer l’homme au mousquet.
Sa colère éclata : « Les
lâches ! se dit-il, presque à voix haute. Tout ça contre un seul homme. »
En un sens, il éprouvait un peu de
pitié pour un ennemi qui devait se porter à de tels extrêmes. Toutefois, il s’était
attendu à quelque chose de ce genre et s’y trouvait, dans la mesure du
possible, prêt. Comme ils supposeraient naturellement qu’il ne serait pas seul,
la prudence leur dicterait d’avoir au moins une arme de jet, et sans doute
plusieurs. S’ils utilisaient aussi de petits arcs, les archers devaient se
cacher derrière des rochers ou plus bas.
Musashi possédait un grand
avantage : aussi bien l’homme qui se trouvait dans l’arbre que les hommes
qui se tenaient dessous lui tournaient le dos. En se baissant au point que la
poignée de son sabre se dressait plus haut que sa tête, il se faufila, rampa
presque en avant. Puis il courut à perdre haleine sur une vingtaine de pas. Le
mousquetaire tourna la tête, le repéra et cria :
— Le voilà !
Musashi courut dix pas encore,
sachant que l’homme devrait changer de position pour viser et tirer.
— Où ça ? crièrent les
hommes les plus rapprochés de l’arbre.
— Derrière vous !
répondit l’autre à s’en faire éclater les poumons. Le mousquetaire braquait son
arme sur la tête de Musashi. Tandis que des étincelles pleuvaient de la mèche,
le coude droit de Musashi décrivait en l’air un arc de cercle. La pierre qu’il
lança atteignit de plein fouet l’amorce avec une force terrifiante. Le cri du
mousquetaire se mêla au craquement des branches, tandis qu’il plongeait à
terre.
En un instant, le nom de Musashi
fut sur toutes les lèvres. Aucun de ces hommes ne s’était donné la peine d’examiner
à fond la situation, d’imaginer qu’il risquait d’inventer un moyen d’attaquer d’abord
au centre. Leur confusion fut presque totale. Dans leur hâte à se réorienter,
les dix hommes se cognèrent les uns aux autres, emmêlèrent leurs armes, se
donnèrent des crocs-en-jambe avec leurs lances, bref, montrèrent la parfaite
image du désordre, tout en se criant les uns aux autres de ne pas laisser
Musashi s’enfuir. A peine se réorganisaient-ils en demi-cercle que Musashi les
défia :
— Je suis Miyamoto Musashi,
le fils de Shimmen Munisai de la province de Mimasaka. Je suis venu
conformément à notre accord conclu avant-hier à Yanagimachi... Genjirō,
êtes-vous là ? Je vous supplie de faire plus attention que Seijūrō
et Denshichirō avant vous. Si je comprends bien, en raison de votre
jeunesse, vous avez pour vous soutenir plusieurs vingtaines d’hommes. Moi, Musashi,
je suis venu seul. Vos hommes peuvent m’attaquer individuellement ou bien en
groupe, comme ils le souhaitent... Et maintenant, en garde !
Autre surprise complète : nul
ne s’attendait à ce que Musashi lançât un défi en bonne et due forme. Même ceux
qui auraient brûlé de répliquer sur le même ton n’étaient pas en état de le
faire.
— Tu es en retard, Musashi !
cria une voix enrouée.
Musashi ayant déclaré qu’il était
seul, beaucoup reprenaient courage ; mais Genzaemon et Jūrōzaemon,
croyant qu’il s’agissait d’une ruse, cherchaient autour d’eux des renforts fantômes.
D’un côté, la forte vibration de
la corde d’un arc fut suivie, une fraction de seconde plus tard, par l’étincellement
du sabre de Musashi. La flèche dirigée vers son visage se brisa ; une moitié
tomba
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