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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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cela et laissé du jeu à ses jambes, ce
qui lui permit de reculer vite. A peine si la pointe du sabre de Musashi lui
égratigna la poitrine.
    Musashi faisait de son arme un
usage différent de celui de l’homme d’épée ordinaire de son temps. Suivant les
techniques normales, si le premier coup n’atteignait pas son but, la force du
sabre se dépensait dans l’air. Il fallait ramener la lame en arrière avant de
frapper à nouveau. C’était trop lent pour Musashi. Chaque fois qu’il frappait
latéralement, il y avait un choc en retour. Un coup vers la droite était suivi
presque dans le même mouvement par un choc en retour vers la gauche. La lame de
Musashi créait deux rais de lumière, dont le dessin ressemblait fort à deux
aiguilles de pin soudées à une extrémité.
    Ce choc en retour inattendu
trancha vers le haut la face de Jūrōzaemon, lui transformant la tête
en une grosse tomate rouge.
    N’ayant pas étudié auprès d’un
maître, Musashi se trouvait parfois désavantagé ; mais il lui arrivait
aussi d’en profiter. L’une de ses forces était de n’avoir jamais été inséré
dans le moule d’aucune école particulière. Du point de vue orthodoxe, son style
ne présentait aucune forme discernable, aucune règle, aucune technique secrète.
Créé par sa propre imagination et ses propres besoins, il était difficile à
définir ou à classer. Dans une certaine mesure, on pouvait y faire face
efficacement en utilisant des styles conventionnels, dans le cas d’un
adversaire très habile. Jūrōzaemon n’avait point prévu la tactique de
Musashi. Tout adepte du style Yoshioka, ou d’ailleurs de n’importe lequel des
autres styles de Kyoto, eût sans doute été pareillement pris au dépourvu.
    Si, continuant sur la lancée du
coup fatal qu’il venait de porter à Jūrōzaemon, Musashi avait chargé
le groupe en désordre qui restait autour de l’arbre, il eût certainement tué
coup sur coup plusieurs autres hommes. Au lieu de quoi, il courut vers la
croisée des routes. Mais au moment précis où ils le croyaient sur le point de s’enfuir,
il se retourna soudain pour attaquer de nouveau. Le temps de se regrouper pour
se défendre, il était reparti.
    — Musashi !
    — Lâche !
    — Bats-toi comme un homme !
    — Nous ne t’avons pas encore
réglé ton compte !
    Les imprécations habituelles
emplissaient l’atmosphère ; les yeux furibonds menaçaient de jaillir de
leurs orbites. La vue et l’odeur du sang enivraient les hommes, comme s’ils
avaient avalé tout un entrepôt de saké. La vue du sang, qui dégrise le brave, a
l’effet opposé sur les lâches. Ces hommes ressemblaient à des lutins à la
surface d’un lac de sang.
    Laissant les cris derrière lui,
Musashi atteignit la croisée des routes, et plongea aussitôt dans la plus
étroite des trois issues, celle qui menait vers le Shugakuin. Arrivaient à la
débandade, en sens inverse, les hommes que l’on avait postés au long de ce
chemin. Avant d’avoir parcouru quarante pas, Musashi vit le premier homme de ce
contingent. Conformément aux lois ordinaires de la physique, il allait se
trouver bientôt pris au piège entre ces hommes et ceux qui le poursuivaient. En
réalité, quand les deux troupes se rencontrèrent, il n’était plus là.
    — Musashi ! Où es-tu ?
    — Il venait par ici. Je l’ai
vu !
    — J’espère bien !
    — Il n’est pas là !
    La voix de Musashi domina le
confus verbiage :
    — Je suis là !
    Il bondit de l’ombre d’un rocher
au milieu de la route, derrière les samouraïs qui revenaient, de sorte qu’il
les avait tous d’un côté. Abasourdis par son changement de position plus rapide
que l’éclair, les hommes de Yoshioka s’avancèrent sur lui aussi rapidement que
possible ; mais dans l’étroit sentier ils ne pouvaient concentrer leurs
forces. Etant donné l’espace nécessaire pour donner un coup de sabre, il eût
été dangereux même pour deux d’entre eux d’essayer de s’avancer de front.
    L’homme le plus rapproché de
Musashi trébucha en arrière, repoussant dans le groupe qui arrivait l’homme qui
se trouvait derrière lui. Durant quelque temps, ils se débattirent tous
désespérément, jambes mêlées. Mais les foules ne renoncent pas facilement. Bien
qu’effrayés par la féroce rapidité de Musashi, ces hommes reprirent bientôt
confiance en leur force collective. Ils s’avancèrent en rugissant, de nouveau
persuadés qu’aucun homme

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