La pierre et le sabre
plus fort et plus capable d’affronter la vie qu’elle. Après
tout, c’était un homme.
— ... Iras-tu ?
demanda-t-il.
Elle avait beau savoir que c’était
comme si la maison avait brûlé et qu’elle essayât de la reconstruire avec les
cendres, il lui fallut quelque effort pour secouer son fantasme, le songe
éveillé enchanteur où Musashi était à elle et elle seule. Mais enfin elle
acquiesça de la tête en silence.
— ... Alors, c’est réglé.
Allons-y maintenant !
— Et ta mère ?
— Oh ! elle ?
Il renifla. Il jeta un coup d’œil
en haut de la falaise.
— ... Si elle réussit à
mettre la main sur quelque chose pour prouver que Musashi est bien mort, elle
retournera au village. Nul doute qu’elle sera furieuse comme une tigresse en
constatant ma disparition. Je l’entends d’ici déclarer à tout le monde que je l’ai
laissée mourir dans les montagnes, comme on se débarrassait des vieilles femmes
dans certaines régions. Mais si je réussis, ça arrangera tout. Quoi qu’il en
soit, notre décision est prise. Allons !
Il partit le premier, à grands pas ;
mais elle traînait en arrière.
— Pas par là, Matahachi !
— Et pourquoi donc ?
— Il va nous falloir repasser
devant cette pierre.
— Ha ! ha ! Et voir
le nain à figure de femme ? N’y pense plus ! Je suis avec toi,
maintenant... Oh ! écoute... ce n’est pas ma mère qui appelle ?
Dépêche-toi, avant qu’elle ne vienne à ma recherche. Elle est bien pire qu’un
petit fantôme à la face effrayante.
Le pin parasol
Le vent froissait les bambous.
Bien qu’il fît trop sombre encore pour s’envoler, les oiseaux éveillés
pépiaient.
— Ne m’attaquez pas ! C’est
moi... Kojirō !
Ayant couru comme un dément sur
plus d’un kilomètre et demi, il arrivait hors d’haleine au pin parasol. Les
hommes qui sortaient de leurs cachettes pour l’entourer avaient la face engourdie
par l’attente.
— Vous ne l’avez pas trouvé ?
demanda Genzaemon avec impatience.
— Si, je l’ai bien trouvé,
répondit Kojirō d’un ton qui attira sur lui tous les regards. Je l’ai
trouvé, et nous avons remonté ensemble, un moment, la rivière Takano ;
mais alors il...
— Il s’est enfui ! s’exclama
Miike Jūrōzaemon.
— Non ! dit Kojirō
avec emphase. A en juger d’après son calme et d’après ses paroles, je ne crois
pas qu’il se soit enfui. Je l’ai cru d’abord, mais à la réflexion j’ai conclu
qu’il essayait seulement de se débarrasser de moi. Il a dû imaginer une
stratégie quelconque qu’il voulait me cacher. Mieux vaut ouvrir l’œil.
— Une stratégie ? Quel
genre de stratégie ?
Ils se pressaient plus près pour
ne point perdre un mot.
— Je le soupçonne d’avoir
recruté plusieurs seconds. Il était sans doute en chemin pour les rencontrer de
manière à pouvoir attaquer tous ensemble.
— Aïe, gémit Genzaemon. Ça
paraît vraisemblable. Ça veut dire également qu’ils ne vont pas tarder à
arriver.
Jūrōzaemon se détacha du
groupe et donna l’ordre aux hommes de regagner leurs postes.
— Si Musashi attaque alors
que nous sommes dispersés comme ça, dit-il, nous risquons de perdre la première
manche. Nous ignorons combien d’hommes il amènera, mais ils sont peut-être en
grand nombre. Nous nous en tiendrons à notre plan d’origine.
— Il a raison. Nous ne devons
pas nous laisser surprendre.
— Quand on est fatigué d’attendre,
il est facile de commettre une faute. Attention !
— A vos postes !
Ils se dispersèrent peu à peu. Le
mousquetaire se réinstalla dans les hautes branches du pin. Kojirō,
remarquant Genjirō debout, tout raide, adossé au tronc, lui demanda :
— Sommeil ?
— Non ! répondit
vaillamment le garçon.
Kojirō lui tapota la tête.
— Tes lèvres sont bleues !
Tu dois avoir froid. Etant donné que tu représentes la maison de Yoshioka, tu
dois être brave et fort. Encore un peu de patience, et tu vas assister à des
choses intéressantes.
En s’éloignant, il ajouta :
— ... Et maintenant, il me
faut trouver un bon endroit où me mettre.
La lune avait cheminé avec Musashi
depuis le creux séparant les collines de Shiga et d’Uryū, où il avait
laissé Otsū. Maintenant, il s’enfonçait derrière la montagne, tandis qu’une
élévation progressive des nuages qui reposaient sur les trente-six pics
indiquait que le monde ne tarderait pas à
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