La pierre et le sabre
interpréta à tort le
silence de son ami comme un signe de jalousie.
— ... Tu es fâché ? Je t’ai
parlé sincèrement parce que je ne croyais pas devoir te le cacher.
— Espèce d’idiot, c’est toi
qui m’inquiètes. S’agit-il d’une malédiction de naissance, ou recherches-tu le
malheur ? Je croyais qu’Okō t’avait servi de leçon.
En réponse aux questions de
Musashi, Matahachi lui révéla pourquoi lui-même et Akemi se trouvaient
ensemble.
— Peut-être suis-je puni d’avoir
abandonné Mère, conclut-il. Akemi s’est blessée à la jambe en tombant dans le
ravin ; ça s’est mis à empirer ; aussi...
— Ah ! vous voilà,
monsieur ! dit la vieille femme de l’auberge en dialecte local.
Gâteuse, les mains dans le dos,
elle regardait le ciel comme pour voir le temps qu’il faisait.
— ... La malade n’est pas
avec vous, ajouta-t-elle d’un ton neutre qui laissait douter si elle posait une
question ou constatait un fait.
Rougissant légèrement, Matahachi
demanda :
— Akemi ? Il lui est
arrivé quelque chose ?
— Elle n’est pas dans son lit.
— Vous êtes sûre ?
— Elle s’y trouvait tout à l’heure,
mais elle n’y est plus.
Bien qu’un sixième sens avertît
Musashi de ce qui s’était passé, il se contenta de dire :
— Nous ferions mieux d’aller
voir.
La literie d’Akemi se trouvait
toujours installée par terre, mais pour le reste, la chambre était vide.
Matahachi fit vainement le tour de la pièce en jurant. La face enflammée de
fureur, il s’écriait :
— Pas d’obi, pas d’argent !
Pas même un peigne ou une épingle à cheveu ! Elle est folle ! M’abandonner
comme ça !...
La vieille était debout sur le
seuil.
— Terrible, marmonnait-elle,
comme pour elle-même. Cette fille... peut-être que je ne devrais pas le dire...
mais elle n’était pas malade. Elle jouait la comédie, oui, pour rester au lit.
Je suis peut-être vieille, mais je devine ces choses-là.
Matahachi courut dehors, et regarda
la route blanche qui serpentait le long de la crête. La vache, couchée sous un
pêcher dont les fleurs déjà flétries étaient tombées, rompit le silence avec un
long meuglement ensommeillé.
— Matahachi, dit Musashi,
pourquoi rester là, à broyer du noir ? Prions pour qu’elle trouve un
endroit où elle puisse se fixer et mener une existence paisible, un point c’est
tout.
Un unique papillon jaune, ballotté
haut par la brise tourbillonnante, plongea par-dessus le bord d’une falaise.
— ... Ta promesse m’a fait
grand plaisir, dit Musashi. Allons, n’est-ce pas le moment de la mettre à
exécution, d’essayer vraiment de devenir quelqu’un ?
— Oui, il le faut, n’est-ce
pas ? murmura Matahachi sans enthousiasme en se mordant la lèvre
inférieure pour l’empêcher de trembler.
Musashi le retourna afin d’arracher
son regard à la route déserte.
— Ecoute, dit-il avec
enjouement. Ta voie s’est libérée toute seule. Où que soit allée Akemi, ça ne
te convient pas. Va maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Prends le
sentier qui débouche entre Sakamoto et Otsu. Tu devrais rattraper ta mère avant
la nuit. Une fois que tu l’auras trouvée, ne la reperds plus jamais de vue.
Pour étayer son argumentation, il
apporta les sandales et les guêtres de son ami, puis entra dans l’auberge et revint
avec ses autres affaires.
— ... As-tu de l’argent ?
demanda-t-il. Je n’en ai pas beaucoup moi-même, mais je peux t’en donner une
partie. Si tu crois qu’Edo est l’endroit qui te convient, j’irai là-bas avec
toi. Ce soir, je serai au pont de Kara, à Seta. Une fois que tu auras retrouvé
ta mère, rejoins-m’y. Je compte sur toi pour l’amener.
Après le départ de Matahachi,
Musashi se disposa à attendre le crépuscule et la réponse à sa lettre. Etendu
sur le banc, au fond du salon de thé, il ferma les yeux et ne tarda pas à
rêver. De deux papillons portés par les airs, folâtrant parmi des branches
entrelacées. Il reconnut l’un des papillons... Otsū.
A son réveil, les rayons obliques
du soleil avaient atteint le mur du fond du salon de thé. Il entendit un homme
dire :
— De quelque façon que tu l’envisages,
ça ne valait pas cher.
— Tu veux parler des
Yoshiokas ?
— Exact.
— On plaçait trop haut cette
école à cause de la réputation de Kempō. Il semble que dans n’importe quel
domaine, seule, la première génération compte
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