La pierre et le sabre
vraiment. La génération suivante
devient terne, et à la troisième, tout s’effondre. On voit rarement le chef de
la quatrième génération enterré à côté du fondateur.
— Eh bien, j’ai l’intention
de me faire enterrer juste à côté de mon arrière-grand-père.
— De toute façon, tu n’es qu’un
tailleur de pierre. Je parle de gens célèbres. Si tu ne me crois pas, vois
seulement ce qui est arrivé à l’héritier de Hideyoshi.
Les tailleurs de pierre
travaillaient dans une carrière de la vallée ; tous les après-midi vers
trois heures, ils montaient à l’auberge prendre une tasse de thé. Précédemment
l’un d’eux, qui habitait près d’Ichijōji, avait prétendu avoir assisté au
combat d’un bout à l’autre. Ayant déjà raconté plusieurs douzaines de fois son
histoire, il put maintenant la placer avec une vibrante éloquence ; il
brodait avec art, imitait les gestes de Musashi.
Tandis que les tailleurs de pierre
écoutaient avec ravissement ce numéro, quatre autres hommes étaient arrivés et
s’étaient assis dehors, devant l’auberge : Sasaki Kojirō et trois
samouraïs du mont Hiei. Leurs faces renfrognées rendaient les ouvriers mal à l’aise ;
aussi avaient-ils pris leurs tasses, et battu en retraite à l’intérieur. Mais
comme l’épopée s’animait, ils se mirent à rire, à lancer des commentaires, en
répétant souvent et avec une évidente admiration le nom de Musashi. Kojirō,
à bout de patience, appela d’une voix forte :
— Vous, là-bas !
— Oui, monsieur,
répondirent-ils en chœur, avec un salut automatique de la tête.
— Que se passe-t-il, ici ?
Vous !
De son éventail à brins d’acier,
il désignait l’homme :
— ... Vous parlez comme
quelqu’un qui sait. Venez donc ici, dehors ! Les autres aussi. Je ne vais
pas vous manger.
Pendant qu’ils ressortaient en
traînant les pieds, il poursuivait :
— ... Je vous ai écoutés
chanter les louanges de Miyamoto Musashi, et j’en ai par-dessus la tête. Vous
dites des absurdités !
Il y eut des regards
interrogateurs et des murmures de perplexité.
— ... Qu’est-ce qui vous fait
considérer Musashi comme un grand homme d’épée ? Vous... vous dites avoir
assisté au combat, l’autre jour ; mais laissez-moi vous assurer que moi,
Sasaki Kojirō, j’y ai assisté aussi. En ma qualité de témoin officiel, je
l’ai observé dans les moindres détails. Ensuite, je suis allé au mont Hiei
exposer ce que j’avais vu à ceux qui se destinent à la prêtrise. En outre, à l’invitation
d’éminents érudits, je me suis rendu dans plusieurs temples secondaires pour
faire d’autres exposés... Or, au contraire de moi, vous autres ouvriers ne connaissez
rien à l’art de l’épée.
La voix de Kojirō trahissait
de la condescendance.
— ... Vous voyez seulement
qui a gagné et qui a perdu ; après quoi, vous vous joignez au troupeau
pour faire l’éloge de Miyamoto Musashi comme s’il était le plus grand homme d’épée
qui eût jamais existé... D’ordinaire, je ne me soucierais pas de réfuter des
bavardages d’ignorants ; mais dans le cas présent je crois la chose
nécessaire, parce que vos opinions erronées sont nuisibles à la société dans
son ensemble. De plus, je désire mettre en lumière vos erreurs au bénéfice de
ces étudiants distingués qui m’accompagnent aujourd’hui. Ouvrez toutes grandes
vos oreilles ! Je m’en vais vous dire ce qui s’est véritablement passé au
pin parasol, et quel genre d’homme est Musashi.
L’auditoire malgré lui fit
entendre un murmure soumis.
— ... En premier lieu,
déclama Kojirō, considérons ce que Musashi a réellement en tête – son
but secret. A en juger d’après sa façon de provoquer ce dernier combat, je puis
seulement conclure qu’il essayait de toutes ses forces de se faire de la
publicité, de travailler à sa réputation. A cet effet, il a choisi la Maison de
Yoshioka, la plus célèbre école d’escrime de Kyoto, à laquelle, avec adresse,
il a cherché querelle. En tombant dans ce piège, la Maison de Yoshioka a servi
à Musashi de tremplin vers la réussite et la renommée... Ce qu’il a fait était
malhonnête. Il était déjà de notoriété publique que l’époque de Yoshioka Kempō
se trouvait révolue, et que l’école Yoshioka déclinait. Elle ressemblait à un
arbre flétri, ou bien à un invalide moribond. Musashi n’a eu qu’à donner une
poussée à
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