Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
rentrer chez lui.
    Comme bien tu penses, lecteur, L’Étoile apparaissant, je
tâchai, aussitôt qu’on eut échangé de part et d’autre les coutumiers
compliments, de le mettre sur le chapitre de ce grand procès des jésuites dont
parlaient la Cour et la Ville, mais étant d’un naturel plus prudent qu’un
lièvre, mon bon L’Étoile resta là-dessus fort boutonné, et moralisa comme à
l’accoutumée sur la décadence des mœurs, n’étant jamais si sévère en ses
censures qu’après s’être ébattu dans les bras de ma chambrière. Toutefois, s’il
avait comme toujours la lippe amère et le sourcil récriminant, il me sembla
discerner en son œil le reste d’une petite lueur friande qui démentait ses
propos.
    Il ne laissa pas pourtant de conter sur Ignace de Loyola une
anecdote que, chose curieuse, je n’ai retrouvée dans aucune page de son célèbre
journal, ce qui me donna à penser qu’il l’avait, je ne dirais pas, oubliée
(comment l’eût-il pu, lui qui collectait tout et jusqu’aux miettes de
l’histoire) mais censurée et non point j’en jurerais pour la gaillardise –
car en ses écrits ce moraliste était fort vert – mais pour ce qu’elle ne
montrait pas le fondateur de la compagnie de Jésus sous un jour fort
évangélique.
    — Mon cher Siorac, dit-il, vous n’ignorez pas que saint
Ignace de Loyola était capitaine dans les armées espagnoles. Raison pour quoi
il a donné, plus tard, le nom de général [27] au chef suprême de l’ordre qu’il
fonda. Et que sa mauvaise, ou plutôt bonne chance, voulut qu’il fût navré à la
gambe dextre par un éclat de bombarde en défendant Pampelune contre les
Français. Il en conçut de prime une fort mauvaise dent contre nous et, sa
navrure l’ayant laissé boiteux, il se sentit dans le même temps illuminé par la
grâce et abandonna tout ensemble le noble métier des armes et la vie fort
désordonnée qu’il menait jusque-là.
    — J’ignorais tout cela, dit Miroul, mais je suis
content d’apprendre que sa boiterie l’empêcha de courre comme devant le
cotillon. La grâce tient à peu de chose. Un pouce en moins à la gambe dextre et
vous voilà projeté sur le chemin de la sainteté…
    — Monsieur l’Écuyer, dit Pierre de L’Étoile, je
connais des guillaumes qui, même avec une gambe en moins…
    — Ha ! Monsieur ! dit Miroul avec un petit
salut, et son œil marron fort pétillant, auquel de nous trois faites-vous
allusion ?
    Je ris, mais changeai mon ris en souris, dès que je vis que
L’Étoile ne s’y associait pas.
    — Je poursuis, dit L’Étoile, la face renfroignée. Saint
Ignace se rendant à dos de mule après sa conversion à Montserrat pour y étudier
la théologie sous Francisco Jiménez de Cisneros, encontra sur son chemin un
Maure instruit, avec lequel il fut d’abord content assez de deviser. Mais comme
il mentionnait le nom de la Vierge Marie, le Maure s’écria :
    — Et d’où tenez-vous, señor, que Miriam (c’est le nom
arabe pour Marie) fût vierge ?
    — Mais des Saintes Écritures, dit saint Ignace
roidement.
    — Je décrois ce qu’elles prétendent à ce sujet, dit le
Maure. Passe encore que la conception se soit faite sans l’intervention de
l’homme, le Seigneur Dieu étant tout-puissant, mais pour l’enfantement, c’est
une autre affaire. Le niño, en sortant du ventre de sa mère, ne put
qu’il ne brisât l’hymen. Adonc Miriam n’était plus vierge.
    — Misérable infidèle ! s’écria alors saint Ignace
en tirant son épée, tu seras puni pour cet odieux blasphème !
    « Et il courut sus au Maure, l’estoc au poing, ce que
voyant, le malheureux s’enfuit, poursuivi chaudement par saint Ignace lequel,
toutefois, faillit à l’atteindre.
    À quoi nous rîmes.
    — Je ne sais, dis-je, si nous devons rire comme nous
faisons. Je trouve à la réflexion quelque chose de terrifiant chez un saint
aussi guerrier. Il me ramentoit le jésuite Samarcas portant sa fameuse botte à
l’Anglais Mundane et lui perçant le poitrail de part en part. Miroul et moi
fûmes témoins de l’affaire et c’est meshui seulement que j’apprends et entends
que Samarcas, agissant ainsi, pouvait se réclamer du saint Patron de son ordre.
    — Pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps, un
seul jésuite ne juge pas son ordre, dit L’Étoile, qui voulait bien égratigner
en passant la compagnie de Jésus, mais qui, même entre amis, n’entendait pas la
critiquer

Weitere Kostenlose Bücher