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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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des
confessions scandaleuses.
    — Scandaleuses, Monsieur le Curé ? dis-je en
levant le sourcil.
    — Hélas, Monsieur le Marquis, je n’en peux plus douter :
pour peu que le pénitent soit noble, riche et taille dans le monde une figure
notable, les jésuites condolent, pardonnent et absolvent tout : le duel,
la parjure, la traîtrise, le vol et, ajouta-t-il d’un air désolé, la bougrerie
et l’adultère, je le dis en frémissant. Et les voilà, Monsieur, par ces très
damnables pratiques, les voilà honorés et adorés comme des petits dieux en
Paris, maîtres des consciences d’un chacun, et immensément enrichis.
    — Enrichis, Monsieur le Curé ? Je croyais qu’ils
faisaient vœu de pauvreté ?
    — Ha ! Monsieur le Marquis, vous ne connaissez pas
ces maudits casuistes ! Ils ont deux vœux. Un vœu simple qu’ils
prononcent, quand ils entrent dans leur compagnie (dite impudemment de Jésus)
et qui leur permet de recueillir les successions et les legs. Puis, les ayant
reçus, et n’attendant plus rien, ils prononcent un vœu solennel. Quant à moi,
j’ose le dire tout net, je ne me fierais pas plus à leur vœu de pauvreté qu’à leur vœu de simplicité. Pauvres, les jésuites ! Simples, les
jésuites ! Dieu bon ! Que faut-il ouïr en cette vallée de
larmes ! Sous la haire, les jésuites cachent la pourpre ! Sous les
cendres, un feu d’ambition ! Sous les paroles sacrées, une avidité de
croque-testaments ! Vous les voyez, ces chattemites, cheminer les yeux
baissés, mais s’ils portent la vue en terre, ce n’est que pour y chercher les
biens et les honneurs !
    Peste ! m’apensai-je, quelle éloquence ! Et que
peu sacrée elle me semble ! Qui dirait que c’est là un prêtre parlant d’un
religieux ? Que vivaces et violentes sont ces haines d’Église, et pas
seulement contre les hérétiques !
    — Monsieur le Curé, dis-je, l’opinion que vous exprimez
là est-elle seulement la vôtre ?
    — Mais point du tout ! s’écria Courtil avec véhémence.
Elle est celle, vous pouvez m’en croire, de tous les curés et de tous les
évêques : les premiers, parce que les jésuites leur robent leurs
pénitents. Les seconds, parce que les jésuites déprisent leurs commandements.
C’est pourquoi nous sommes partie au procès que la Sorbonne fait à cette
maudite secte, afin qu’elle soit chassée du royaume et retourne en ses
Espagnes.
    Je fus tenté de dire « amen », mais m’accoisai,
pour ce que je ne désirais pas que le curé Courtil pût se prévaloir de mon
acquiescement. Avançant dans cette affaire à pas de chat, l’oreille dressée et
la moustache très en éveil, je ne voulais pas qu’on me tînt pour l’ennemi des
jésuites, ce qui m’eût valu de leur part une inimitié qui, à juger par celle
que nourrissait pour eux le curé Courtil, ne serait pas petite, et ne pourrait
quelle ne me gênât dans ma quête. De reste, pour parler ici sans rien déguiser,
ni la douceur avec laquelle ils traitaient les écoliers (hormis ceux qui
voulaient prier pour le roi), ni leurs méthodes nouvelles d’enseignement, ni
l’émerveillable flexibilité de leurs talents de confesseur (dont je venais
somme toute de bénéficier) ne me prenaient pas tant à rebrousse-poil. Bien le
rebours. Certes, je discernais bien que leur souplesse n’était qu’un moyen. Un
moyen, leur richesse. Un moyen, leur étonnante séduction. Mais l’ultime fin que
servaient ces moyens ne m’apparaissait pas encore sous de nets contours, encore
que je commençasse à en avoir quelque petite idée, laquelle, toutefois, je me
défendais même d’articuler, ne voulant pas conclure trop vite.
    N’ayant pu, pour ces raisons, donner mon approbation au curé
Courtil, je lui baillai derechef quelques bonnes paroles et, qui mieux est, un
viatique de dix écus qu’il empocha promptement, me laissant, comme toujours,
béant de la profondeur qu’a une poche de soutane, puisque pour en retirer,
fût-ce un mouchoir, il faut y fourrer la main et l’avant-bras jusqu’au coude.
    — Moussu, me dit Miroul, la lèvre gaussante, dès que
Courtil fut départi, savez-vous que de tout ce temps, M. de L’Étoile,
ne voulant pas paraître devant le curé, est demeuré serré en geôle dans la
chambrifime de Lisette.
    — Qui ne voudrait d’une geôle si douce ? dis-je en
riant. Cours, Miroul, le délivrer. Je ne voudrais pas que Madame son épouse
s’inquiète de son trop grand délaiement à

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