La pique du jour
dans
l’après-repue, le temps se fût traîné avec des pieds de plomb jusqu’à neuf
heures du soir, tant j’avais appétit à approcher Lugoli (que je ne connaissais
que de loin, de vue, et d’ouï-dire) et à apprendre de lui s’il pouvait m’aider
à passer outre au damnable huis clos. Mais n’est-il pas étonnant que l’heure
même qui semble si longue devienne briève tout soudain, quand elle est sur le
point de finir ? Ainsi en va-t-il de notre vie, j’imagine, quand la mort
apparaît au bout.
Lugoli ne me déçut point par sa corporelle enveloppe, étant
un homme de stature moyenne, mais bien pris en sa taille, la membrature carrée,
les traits découpés comme une médaille romaine, la peau et le poil bruns et
l’œil, dans tout ce noir, émerveillablement bleu, aigu, de reste, en ses
regards, preste en ses mouvements, vif en sa parole et parlant très à la
soldate, sans fard ni pimplochement, mais sa prunelle azur, bien que franche,
portant dans le même temps un air de finesse et de sagesse.
Tout ce que j’avais ouï de lui et tout ce qu’il avait ouï de
moi nous rendaient l’un de l’autre si proches que, pour ainsi parler, nous nous
reconnûmes dès l’instant que nous nous vîmes. Il est vrai qu’il trahit quelque
réticence à prime abord – pour ce qu’il craignait qu’en raison du petit
estoc de sa maison je fisse le Marquis avec lui – mais sa réserve fondit
comme neige, dès que je lui eus donné une forte brassée, Lugoli sentant bien
que ce n’était pas là politesse de Cour, mais du bon du cœur, tant j’étais
félice qu’un homme de si bon métal veillât de si près, et quotidiennement, sur
la vie de mon roi.
— Ha ! Monsieur ! me dit-il, dès que j’eus
requis de lui de laisser le Marquis de côté et de m’appeler Siorac, ce qu’il
n’osa point de prime, que je suis aise à la parfin de vous encontrer, ayant
tant ouï, et plus encore deviné des bons services qu’en vos missions et
déguisures vous avez rendus au trône.
— Hé quoi ? dis-je en riant, avez-vous ouï de mes
déguisures ?
— Oui-da ! dit-il en riant aussi et je ne saurais
révéler précisément par qui, mais sachez toutefois que pendant le siège, j’avais
une mouche à mon service chez une des princesses lorraines, et je me serais
fort étonné qu’un marchand-drapier, franchissant nos lignes, eût le front de
les envitailler, si Sa Majesté ne m’avait dit que ce marchand-là était à
elle. Ce qui m’aquiéta, mais ma mouche continuant à voleter autour des
princesses quand le roi entra dans Paris et les alla voir avec vous, je sus
alors qui se cachait derrière cette grande barbe. Ce qui me donna pour vous,
Monsieur, une grandissime estime car peu de gentilshommes eussent consenti à
cet abaissement boutiquier pour servir le roi.
— C’est que je ne le ressentis pas comme tel, dis-je
avec un sourire. Mais bien au rebours, je m’y divertis prou. J’eusse dû naître,
je gage, bateleur ou comédien, tant j’aime la déguisure.
— Voilà donc encore un trait qui nous est commun, dit
Lugoli d’un air joyeux, car encore qu’à la prévôté ce soit surtout les mouches
subalternes qui doivent changer de peau, je ne dédaigne point, à l’occasion, de
simuler un personnage. Tenez, dit-il, en ouvrant un grand coffre, vous avez là
bon nombre de défroques dont il m’est arrivé de m’habiller pour surprendre la
truanderie.
Quoi disant, il sortit du coffre d’un geste vif plusieurs de
ces vêtures parmi lesquelles je reconnus, fort ébaudi, une soutane de prêtre.
— Ha, dis-je en riant, vous va-t-elle bien ?
— Tolérablement, dit-il, le difficile, de reste,
n’étant pas la soutane, mais la mine qui la doit accompagner. Il faut craindre
alors d’en faire trop ou trop peu.
— Monsieur, dis-je, peux-je vous poser question ?
— Oui-da, dit-il avec un sourire, si du fait de mon
état elle ne me trouve pas le bec cousu.
— Vous en jugerez ! Aux alentours de qui votre
mouche volette-t-elle de présent ? M me de Montpensier ?
M me de Nemours ? Ou M me de Guise ?
— Monsieur, dit Lugoli avec un sourire des plus
connivents, vous serez content de moi, j’espère, si je vous dis qu’alors même
que je ne peux répondre à votre question, j’entends parfaitement bien pourquoi
vous me la voulez poser…
Et à mon tour l’entendant fort bien, je lui contresouris,
parce qu’il m’en avait assez dit pour m’éclairer d’un
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