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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Toutefois, je crains
d’être d’eux reconnu !
    — Derechef, je vous gage que non ! Un sergent de
la prévôté ne compte pas davantage pour eux qu’une escabelle ou une tapisserie.
Voulez-vous en avoir le cœur net ? poursuivit-il avec un air des plus
entendus, soyez demain céans à sept heures. Je vous trouverai une vêture de
sergent à votre taille et je vous mènerai avec moi visiter des gens qui ne
seront pas fort charmés de me voir. Venez, Siorac ! Venez, de grâce !
Je peux vous assurer que vous ne le regretterez point !
    Ayant dit, il fit là-dessus tant de mines, de mimiques et de
mystère, avec un œil et un sourire si connivents, qu’à la parfin j’y consentis,
et d’autant qu’avant de me mettre au hasard de cette défroque en plein
parlement, je trouvai bon d’en faire l’attentement sans courre tant de risques.
Quant à Lugoli, il parut si content de mon acquiescement et me jura tant de
fois en me raccompagnant à son huis que je ne serais pas déçu qu’il piqua
excessivement ma curiosité et que je me demandai bien chez quelle
extraordinaire sorte de truands il m’allait le lendemain conduire, pour qu’il
en fît tant de façons.
    Ma petite escorte m’attendait à la porte, car même pour
aller de la rue Tirechape à la rue du Champ Fleuri (ce qui ne fait pas plus de
vingt minutes de marche) c’eût été se mettre au hasard de sa vie que de
cheminer seul à la nuitée, les mauvais garçons, le soleil couché, devenant
maîtres du pavé de Paris. M’attendaient à la saillie devant l’huis de Lugoli
Pissebœuf, Poussevent, Franz et le cocher Lachaise, ces deux derniers ayant
aussi peu d’expérience du combat que les deux premiers l’avaient prou, mais que
j’avais néanmoins choisis pour leur taille géantine, laquelle à mon opinion
devait faire reculer les coquins les plus résolus, et d’autant que je les avais
revêtus de cuirasses qui élargissaient leur carrure et sur lesquels les torches
qu’ils brandissaient jetaient des reflets d’acier. Ainsi Pissebœuf, Poussevent
et moi-même, l’épée d’une main et le pistolet de l’autre (en la guise que la
cavalerie huguenote avait mise à la mode qui trotte), cheminions très à la
piaffe au mitan de la rue (au risque de nous crotter) en faisant sonner haut et
fort nos talons, précédés par Pantagruel et suivis par Gargantua. Lecteur, je
t’assure que pour qui nous eût vus passer en aussi gaillard équipage la nuit, à
la lueur des torches, son cœur serait devenu foie.
    En revanche, c’est sans escorte le lendemain et quasiment à
la pique du jour que je retournai rue Tirechape en mon pourpoint de buffle et
mon plus mauvais chapeau car j’imaginais bien que si le prévôt épiait la Ligue,
celle-ci devait contre-épier son logis.
    Lugoli, qui me devait espérer quasiment derrière son huis,
me l’ouvrit dès qu’il m’aguigna par son judas, et après une forte brassée, me
prit par le bras et m’entraîna dans une chambre où je vis, étalée sur une
coite, ma vêture de sergent de la prévôté, laquelle incontinent je revêtis, non
sans grand ébaudissement et de moi et de lui, et non sans de sa part quelques
avisés conseils.
    — Siorac, me dit-il, quittez vos belles bagues et
cachez vos mains sous des gants de futaine. Elles sont trop soignées pour ne
vous trahir point. Ôtez aussi vos bottes et mettez celles-ci, plus rustiques.
Quant à votre chapeau…
    — C’est mon plus mauvais, dis-je.
    — Toutefois, on sent qu’il a été fort beau. Mettez
celui-ci qui est de feutre très commun, et d’un noir quelque peu pisseux.
Nenni ! Nenni ! Ne le posez point de côté et à la cavalière. Cela
sent trop son gentilhomme. Mais tout droit, à la rustaude, ce qui vous donne
l’air un peu simplet d’un laboureur du plat pays. Et quand vous marchez, le pié
en dehors et le pas lourd.
    — Ha cela ! dis-je en riant, je le sais
faire : je l’ai appris du temps où j’étais marchand-drapier.
    — Cela va pour le pié, mais non point pour la
bedondaine, laquelle chez le marchand se pointe en avant, l’épaule étant en
arrière et le poitrail épanoui. Chez le sergent, qui d’ordinaire nous vient
dret de son village, l’épaule se porte en avant comme pour pousser l’araire ou
la charrue. De reste, mes sergents doivent être rendus de présent devant ma
porte. Et je vous crois trop bon comédien pour ne point copier leur habitus
corporis [32] à la perfection. Mais
Siorac, reprit-il en

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