La pique du jour
autre Barrière poignarder le roi,
et le royaume tout aussitôt replongé dans cet océan de massacres et de guerres
civiles où nous voilà depuis un demi-siècle, et dont nous émergeons à peine.
— J’y songe aussi, dit Miroul en baissant la crête, et
la pensée ne m’en ravit pas. N’est-ce pas étrange que la fortune et le bon heur
d’un grand peuple tiennent à la vie d’un homme, laquelle est si fragile qu’une
balle de mousquet à la guerre, ou un cotel en Paris peut tout de gob en couper
le fil ?
Le procès en le parlement m’avait tenu deux grands jours
éloigné de ma jolie duchesse et dès que les juges eurent mis en délibéré, je
courus à son petit cabinet et m’étonnai, comme à chaque fois qu’elle
m’espérait, de la voir habillée de cap à pié de ses plus beaux affiquets et
parée de ses plus beaux joyaux, puisque enfin il était clair qu’elle ne s’était
robée que pour que je la dérobe. Mais j’imagine qu’elle aimait chaque phase de
cette habitude : Et le vêtir et le paraître à mes yeux éblouis, et le
dévêtir.
— Ha ! mon Pierre ! me dit-elle avec une moue
des plus taquines tandis que je lui servais de chambrière (tâche à laquelle,
pour parler franc, je n’étais pas rebelute), vous me délaissez ! Deux
jours ! Deux grands jours sans me voir ! Un jour de plus et vous
tombiez dans la gibecière de mes oublis !
— Cela, Mamie, je le décrois.
— Voyez-vous le grand piaffeur ! dit-elle en me
donnant sur le nez une petite tape.
— Mamie, je ne piaffe point. Je juge de votre cœur par
le mien.
— Voilà enfin qui est galant ! dit-elle avec un
petit rire. Toutefois, pendant deux jours vous avez préféré la compagnie de ces
juges bedondainants à la mienne.
— Mon ange, je servais le roi.
— Et quand me servez-vous, moi ?
— Meshui. Et de grâce, mon ange, cessez vos battures et
frappements. Comment peux-je, criblé de coups, défaire ces innumérables
boutons, si petits qu’il y faudrait des ongles.
— C’est votre punition. Voilà comme je vous aime :
à mes piés et trémulant d’impatience !
— Je ne suis pas à vos piés, mais de présent, vos
boutons déboutonnés, derrière votre dos à délacer votre basquine, et du diable
si j’entends pourquoi il faut tant de nœuds à ce cordon : un seul
suffirait.
— Ce sont là des mystères féminins qui échappent au
grossier entendement des hommes. Mon Pierre, hâtez-vous de grâce. Cette
basquine m’étouffe.
— Elle ne vous étouffait pas, quand on vous y a
ligotée.
— C’est que je ne pensais alors qu’à être belle.
— Et dès lors avez-vous un autre pensement ?
— Oui-da ! Ne le pouvez-vous deviner ?
La basquine ôtée et le dernier cotillon à ses mignons piés
tombé, le dialogue cessa et avec lui toute possibilité de conversation utile.
Pour moi, je le confesse, j’aime ma petite duchesse quand elle s’encontre
joyeuse. Je l’aime quand une traverse l’encolère. J’aime qu’elle passe d’une
minute à l’autre de la gaîté à l’ire – selon sa capricieuse humeur. Et
bien me ramentois-je que ce jour-là, nos tumultes apaisés, comme je quérais
d’elle ce qu’il en était des négociations entre les envoyés du roi et ceux de
son fils Charles avec le trône, elle sourcilla fort, serra ses menottes
blanches, crispa ses petits poings et hucha :
— Rien n’en vaut ! Rien n’en vaut ! Du côté
de mon fils Charles, vous avez Rochette et Péricard, qui sont bons hommes en
diable. Mais du côté du roi, vous avez trois des plus grands vaunéants de la
création !
— Et quels sont-ils, mamie ?
Elle me les nomma, mais plaise à toi, lecteur, de me pardonner
de ne point céans répéter leurs noms, pour ce qu’ils vivent encore et sont trop
honorables pour qu’ils taillent en mes pages la ridicule figure que ma petite
duchesse leur graffigna en son discours, lequel elle poursuivit, de prime fort
fâchée, et ensuite amusée elle-même, et à demi riant, de la comédie qu’elle me
donnait. Car lui ayant demandé pourquoi elle montrait si mauvaise dent contre
ces « vaunéants », elle se leva de sa coite, et nue qu’elle était,
elle se mit à marcher qui-cy qui-là dans la chambre, en mimant et imitant les
malheureux objets de son courroux.
— Ha, dit-elle, mon Pierre, nous ne conclurons jamais
rien avec ces trois-là ! Il n’y en a pas un pour racheter l’autre tant ils
sont mauvais, chacun à sa
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