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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Messieurs,
pour opiner, souvenez-vous combien sera douce la peine de l’exil à ceux qui ont
tant de richesses en Espagne, en Italie et aux Indes. »
    Cette allusion aux Indes [34] fit sourire, pour ce qu’on
n’ignorait pas que les jésuites, mêlés aux conquistadores, n’étaient pas les
derniers à saisir les pauvres Indiens par les pieds et à les secouer, la tête
en bas, jusqu’à ce qu’ils eussent raqué leur or.
    Quand il vint voir sa Lisette le lendemain chez moi, Pierre
de L’Étoile fit sa lippe sur cette plaidoirie du Maître Antoine Arnauld,
laquelle il trouva « violente en toutes ses parties », ajoutant que
si l’avocat y eût apporté plus de modération et moins de passion, elle eût été
trouvée meilleure de ceux mêmes qui, comme lui, n’aimaient pas les jésuites
« et les souhaitaient tous aux Indes à convertir les infidèles ».
    Je le dis tout dret et tout net : je ne partage pas
cette opinion. Ce que je n’aimai point dans le réquisitoire d’Arnauld fut tout
justement l’aspect par lequel il ravit le parlement : l’enflure et la
rhétorique. Mais quant à la modération que L’Étoile lui recommandait, je
me demande bien comment il eût été possible de parler modérément d’une
secte qui voulait la mort d’un roi qui avait bouté l’Espagnol hors de France et
travaillait à ramener parmi nous la paix civile et religieuse.
    Je trouvai, quant à moi, la péroraison d’Antoine Arnauld en
tous points admirable. Quelques mois plus tard, je la trouvais prophétique et
meshui, hélas, je ne peux la relire sans qu’un frisson me coure le long de
l’échine et me fasse trémuler.
    S’adressant à Henri IV, comme s’il eût été présent dans
l’enceinte où se poursuivaient les débats, il lui dit :
    — Sire, c’est trop endurer ces traîtres, ces assassins
au milieu de votre royaume… L’Espagnol vous est un ennemi patient et opiniâtre qui
ne quittera jamais qu’avec la vie ses espérances et ses desseins sur votre
État. Tous ses autres artifices ont failli, ou se sont trouvés trop faibles. Il
ne lui reste donc plus que son dernier remède, qui est de vous faire assassiner
par ses jésuites… Or, Sire, il vous reste assez d’ennemis découverts à
combattre en France, en Flandres et en Espagne. Défendez vos flancs contre ces
assassins domestiques ! Pourvu que vous les éloigniez, nous ne craignons
pas le reste ! Mais si on les laisse parmi nous, ils pourront toujours
vous envoyer des meurtriers qu’ils confesseront, qu’ils communieront comme
Barrière, et nous, Sire, nous ne pourrons pas toujours veiller… »
     
     
    — Moussu, dit M. de La Surie quand je
lui eus dit ma râtelée de cette enflammée diatribe d’Antoine Arnauld, comment
se défendirent les jésuites ?
    — En toute benoîte humilité. Ils étaient, dirent-ils,
disposés à prêter serment de fidélité au roi comme à leur prince naturel et
légitime. Ils se conformeraient à l’avenir aux règlements de l’université. Ils
ne se mêleraient plus des affaires publiques.
    — Les bons apôtres !
    — Quant au passé, il n’était pas juste, dirent-ils, que
tout un corps soit puni pour la faute d’un seul.
    — Désignant par là le père Varade ?
    — Oui-da ! Lequel selon ce défenseur n’avait mie
conseillé à Barrière de tuer le roi.
    — Tiens donc ! dit Miroul et pourquoi ledit Varade
n’a-t-il pas averti le roi des sanguinaires projets de Barrière ?
    — La raison en est belle : le père Varade, jugeant
à son visage, regard, geste et parole que Barrière était égaré de son sens, ne
prit pas pied et fondement à ses paroles, et l’envoya se confesser à un autre
jésuite pour se défaire de lui.
    — Adonc, parce qu’il était fou, il n’était pas
dangereux ! Étrange raisonnement !
    — Et qui en mon opinion parut tel à la Cour.
    — Vous opinez donc que le parlement va décider leur
exil des jésuites ?
    — Oui, je le crois, mon Miroul, et j’en serais
immensément soulagé, car plus je les ai étudiés, et plus ces gens m’ont paru
redoutables. Ils continuent en leurs écoles à semer le grain du régicide et à
attendre patiemment qu’il germe.
    — Mais Moussu, qu’avez-vous ?
    — Ha ! Miroul ! Depuis que
M. de Rosny m’a mis sur le chemin de cette enquête, je me désommeille
quasiment toutes les nuits, le corps en eau et le cœur me toquant comme fol. Je
vois comme je te vois un autre Clément ou un

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