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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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leur gloire. Et ce qui fortifie
les uns et les autres dans cette cécité contrefeinte ou vraie, c’est le silence
étonnant du roi. On dirait que cette cause, où se joue pourtant sa vie, ne le
concerne pas.
    — Oui-da, Lugoli ! dis-je, vous l’avez touché du
doigt ! Je suis béant moi-même de cet accoisement du roi, persuadé, comme
chacun pense l’être, qu’un mot, un seul mot de lui jeté dans la balance… Ventre
Saint-Antoine ! Pourquoi ne le prononce-t-il pas ?
    — Eh bien, Siorac ! dit Lugoli en me saisissant
par le bras et en le serrant avec force, pourquoi n’allez-vous pas le lui
demander ? Vous en avez le mobile, l’occasion, le devoir ! Il vous a
chargé de suivre le procès : courez lui en rendre compte ! Contez-lui
aussi l’histoire du rubis. Mieux même : Portez-le-lui ! Vous me
déchargerez d’un grand poids : le président de Thou est vieil et mal allant.
Et s’il mourait demain, comment ferais-je pour retirer ladite pierre de sa
succession, le dépôt ayant été secret ?
    En le quittant, ma décision était prise, mais je n’eus pas
trop de la journée du lendemain pour me préparer au départir, prendre congé de
la duchesse, et à la nuitée, accompagné de Lugoli et d’une forte escorte,
visiter le président de Thou, lequel me parut, en effet, mal en point, et pour
cette raison, nous reçut à peu de minutes (mais celles-ci mémorables) car
m’ayant remis le rubis (dont il paraissait faire aussi peu de cas que d’un
caillou dans son jardin), il nous dit d’une voix faible mais très distincte
qu’il voyait bien à quoi menaient tous les remuements des jésuites et qu’il ne
doutait pas qu’ils n’obtinssent, hélas, la surséance, si les choses
continuaient ce train. Après quoi, closant la paupière, il parut si las que
Lugoli et moi quîmes de lui notre congé. Il nous fit alors signe de la main
qu’il nous le baillait, mais comme nous nous retirions, il déclouit soudain ses
yeux et dit d’une voix tant forte qu’elle nous étonna :
    — Les gens du roi (entendant les parlementaires) sont
divisés, et la surséance va l’emporter. Crime, Messieurs, crime ! Laisser
un tel procès indécis, c’est laisser la vie du roi dans l’incertitude !
    Cette phrase, laquelle je me ramentevrai toujours, dussé-je
vivre un siècle, nous frappa, Lugoli et moi, d’un tel estoc que nous fîmes tout
le chemin jusqu’à mon logis de la rue du Champ Fleuri sans dire mot ni miette.
    — Siorac, dit-il quand nous fûmes devant mon huis,
quand départez-vous ?
    — Demain avant la pique du jour.
    — Avec quelle escorte ?
    — Celle de Quéribus et la mienne, quarante hommes
aguerris et autant de grands chevaux, vifs et bien allants.
    — Cela ira, je crois, dit Lugoli, dont l’œil clair sous
la lune luisait dans son visage brun. Mais vous dégarnissez votre maison de
ville. Voulez-vous que je vous baille pour la garde une demi-douzaine de mes
sergents ?
    — Dans la maison, nenni. Mais dans l’Aiguillerie,
oui-da ! La grand merci à vous !
    — Quoi ? dit Lugoli, l’Aiguillerie ?
    — C’est mon châtelet d’entrée.
    — Voilà qui est bien avisé, dit Lugoli avec un sourire.
    Quoi dit, il me donna une forte brassée et me dit à
l’oreille :
    — Siorac, pour l’amour de Dieu, persuadez le roi de se
prononcer !
     
     
    Dès mon advenue à Laon, j’appris de M. de Rosny
que le roi était en pourparlers avec les députés d’Amiens pour qu’ils
rendissent la ville. Je fus reçu par Sa Majesté le lendemain, comme
souvent à minuit qui était le moment qu’Elle réservait à ses plus secrets
entretiens, pour ce qu’alors les courtisans et officiers qui l’entouraient
s’étaient retirés chacun en sa chacunière. Me montrant un visage des plus
riants, pour ce que la possession d’Amiens le soulageait d’un grand poids, ses
guerres lui ayant appris qu’il ne pouvait mie demeurer en la tranquille
jouissance de capitale, l’ennemi étant si proche.
    — Ha bien, Barbu ! me dit-il, après qu’il eut
ordonné à un valet d’apporter au pied de son lit un carreau pour aiser mes
genoux, qu’en est-il de ce fameux procès et comment mes messieurs de robe rouge
(par là il entendait les gens du parlement) prennent-ils la chose ?
    — Sire, dis-je, pour bien entendre le qu’est-ce et le
comment de ce procès, je me suis apensé qu’il serait meilleur et plus expédient
de bien connaître la compagnie qui en était l’objet.

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