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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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s’égarerait mie dans les poches de son pourpoint, ni ne ferait
retour dans les soutanes des jésuites, ni ne viendrait à parer la gorge d’une
belle, De Thou n’étant ni chiche-face, ni ami des jésuites, ni mari
infidèle ; au demeurant, grand honnête homme, ayant le sentiment des
intérêts de l’État, et adamantinement loyal au roi. En un mot, un Français à la
vieille française, et non point un de ces Français espagnolisés et papisés,
comme nous en comptons tant parmi nous, même à ce jour, maugré les défaites
répétées de la Ligue.
    Le procès à huis clos des jésuites vint le 12 juillet
1594 devant le parlement et, dans ma déguisure de sergent de la prévôté, je fus
un de ceux qui eurent la tâche de bouter hors d’aucuns gentilshommes de Cour
qui n’auraient jamais rêvé d’assister à un tel débat, s’il avait été public,
mais qui, du moment qu’il ne l’était pas, se fussent tenus pour offensés de
n’attenter point de forcer les portes. Ce qu’ils firent au nombre d’une
trentaine au moins, que les sergents et moi eurent toutes les peines du monde à
refouler, recevant, de leur part, ce faisant, des paroles tant sales que fâcheuses,
étant traités de « coquins », de « faquins », de
« marauds », de « vaunéants » ou « d’excréments »
sans compter de furieuses menaces de nous couper les oreilles, de nous mettre
le pié de par le cul et de nous escouiller : injures auxquelles nous ne
répondîmes ni mot ni miette, tandis que, poitrine contre poitrine, nous les
poussions hors sans ménagement aucun, le piquant de la chose étant qu’à un
moment, je me trouvai nez à nez ou plutôt poitrail à poitrail contre mon
beau-frère Quéribus, lequel me chantait horriblement pouilles sans me
reconnaître du tout, et auquel, dans notre frottis et chamaillis, indigné de sa
conduite, j’arrachai en catimini un bouton de son pourpoint, sachant que rien
ne se pouvait l’affecter davantage que cette perte. Ce bouton, lecteur, était
une perle ovale sertie dans un cercle d’argent, laquelle je lui rendis le
lendemain en le mercurialisant sur sa dévergognée conduite.
    L’huis étant enfin clos sur ces fâcheux, le procès commença
par un discours en latin du recteur de l’Université, Jacques d’Amboise, qui fut
peu écouté, non que le latin fût déconnu par les membres du parlement, mais
outre qu’il était contraire à l’usage courant de l’employer dans cette
enceinte, on attendait trop avidement la plaidoirie d’Antoine Arnauld pour prêter
ouïe aux disquisitions du recteur, lequel, d’ailleurs, quoiqu’il attaquât les
jésuites, attaquait plus durement encore ceux de ses collègues de l’Université
qui avaient pris position pour eux :
    — Ceux-là, dit le recteur sur un ton de déprisement
infini, sont des transfuges qui sont au milieu de nous, sans mériter que nous
les regardions comme étant des nôtres.
    À la parfin, Antoine Arnauld se leva et l’Assemblée, qui
pendant le discours du recteur avait été inattentive et dispersée en
particulières jaseries, tout soudain s’accoisa, l’oreille dressée, et l’œil
collé à l’orateur, lequel, non seulement jouissait ès parlement d’une grande
réputation, mais en outre, se trouvait, pour ainsi parler, comme l’un des
leurs, étant un greffon auvergnat d’une famille de bonne bourgeoisie parisienne
de robe, et à ce titre comme en son titre propre, reluisant des vertus et
talents dont cet ordre s’enorgueillissait. En outre, son physique, de soi seul,
commandait l’attention et quand il se dressa dans ses longues robes d’avocat,
je le trouvai tout aussi large qu’en son cabinet, mais plus grand, tandis que
son œil noir me parut jeter plus de flammes, et sa voix jaillir plus forte de
ses lèvres. Avant, de reste, qu’il ouvrit la bouche, il demeura quelques
secondes immobile et la face imperscrutable, attendant que le silence achevât
de s’établir, et dans cette immobilité, il donna une telle impression
d’inattaquable solidité qu’il me parut que Fogacer n’avait pas erré, quand il
avait dit de lui, en notre entretien, qu’Antoine Arnauld « était taillé
dans ce basalte d’Auvergne dont on empierre les routes ».
    Tout a été dit sur cette célèbre plaidoirie – ou
devrais-je dire plutôt réquisitoire – et je ne vais pas lasser le lecteur
en le reproduisant tout au long en ces Mémoires, où j’aime à galoper, et non à
trotter à

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