La pique du jour
l’amble, comme les haquenées de nos dames. De reste, l’auteur ayant
pris soin de publier la harangue dès qu’il l’eut prononcée, afin que de
détruire les effets d’un détestable huis clos machiné par d’O et Cheverny, en l’absence
du roi, je ne sache pas qu’il soit nécessaire de la reproduire en ces pages. Du
moins peux-je dire céans l’impression qu’elle fit sur les juges et sur moi, et
qui ne fut point tout à fait la même. Car je vis bien que ceux-là, qui étaient
orfèvres en rhétorique, étaient à ce point transportés d’aise par l’éloquence
vaticinante d’Arnauld qu’ils étaient, pour ainsi parler, soulevés sur leurs
sièges par l’enthousiasme, tandis que par les regards, les mimiques et les
signes qu’ils échangeaient entre eux, ils communiaient dans une admiration qui,
du fait même de cette communion, devenait à chaque instant plus passionnée.
Pour moi, qui, songeant avant tout à l’utilité, voyais les
choses plus froidement, j’aimais ce que disait l’orateur davantage que son style.
Assurément, me disais-je en l’oyant, c’est là un avocat de très grand et très
industrieux talent, nourri en latin dès ses maillots et enfances, et
connaissant les plaidoiries de Cicéron sur le bout des doigts. Ici, il imite la
harangue contre Rullus, là encore sa philippique contre Verres. Il multiplie
l’apostrophe, l’hyperbole, la métaphore. Parlant des jésuites il les appelle
« ces trompettes de guerre, ces flambeaux de sédition, ces vents
turbulents qui n’ont d’autre travail que d’orager et tempêter continuellement
le calme de la France ». Pour moi, belle lectrice, je dois ici vous
confesser que j’eusse à la place d’Arnauld sacrifié les trompettes et
les flambeaux, les vents suffisant à l’orage…
Toutefois, je trouvais notre avocat plus persuasif et aussi
plus ébaudissant dans l’ironie mordante et le sarcasme : « Les
jésuites, dit-il (je cite de mémoire), ne sont pas venus en France à enseignes
déployées. Ils eussent été aussitôt étouffés que nés. Mais ils sont venus se
loger en notre université en petites chambrettes, où ayant longtemps renardé et
épié, ils ont reçu des lettres de recommandation de Rome pour ceux qui étaient
grands et favorisés en France, et qui voulaient avoir crédit et honneur dans
Rome, et telles sortes de gens ont toujours été fort à craindre pour les
affaires de ce royaume. » (Je fus ravi lecteur, pour ne te rien celer, de
ce coup de patte, en passant, au duc de Nevers, au duc d’Épernon, à
M. d’O, à Cheverny et autres jésuitophiles : trait d’une rare audace
chez un bourgeois de robe d’attaquer, fût-ce sans les nommer, ces hauts
seigneurs.)
Arnauld trouva aussi des expressions très fortes pour
dénoncer l’emprise des jésuites sur les jeunes, s’étonnant de prime que
« les Français aient connu le temps où celui qui ne faisait étudier ses
enfants sous les jésuites n’était pas estimé “bon catholique”, et toutefois
qu’est-ce que les jésuites enseignaient à ces enfants, sinon à désirer et à
souhaiter la mort de leurs rois, profitant du fait que l’enfance boit l’erreur
en même temps que le premier lait (puerorum infantia primo errorem cum lacte
bibit) et ne lui donnant leurs poisons qu’enveloppés de miel (nisi melle
circumlita). Rien, poursuivit Arnauld, n’est si aisé que d’imprimer en ces
esprits faibles telle affection qu’on veut. Rien de plus difficile que de l’en
arracher. »
Paroles qui, lorsque je m’en ramentus au moment de
l’attentement du jeune Chatel contre la vie du roi, firent dans mon esprit un
effet singulier.
Quant à l’avidité aux biens terrestres prêtée communément
aux jésuites, Arnauld, dédaignant de parler du rubis de la Couronne (qui était
la fable de la ville et de la Cour), satirisa en peu de mots l’adresse desdits
religieux à happer au vol legs et donations. Dans cet ordre, dit-il,
« Rien n’en sort et tout y entre – et ab intestat [33] – et par les testaments,
lesquels ils captent tous les jours, mettant d’un côté l’effroi de l’Enfer en
ces esprits proches de la mort et de l’autre proposant le paradis ouvert à ceux
qui donnent à la Société de Jésus… »
Arnauld fit ensuite observer aux juges que l’université ne
demandait pas la mort du pécheur, mais seulement son département, et il ironisa
sur la légèreté de la peine : « Quand vous vous lèverez,
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