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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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qu’elle ornât la gorge d’une
belle… »
    À quoi, loin de sourciller, le roi rit et dit :
    — Ha ! Barbu, je le vois, ta franchise a plus d’un
tranchant ! Mais n’aie crainte ! Ce rubis fera des petits, qui seront
des écus, et ces écus feront des petits, qui seront munitions de bouche et de
guerre pour mes soldats, et pour eux des soldes, et pour moi des
chemises ! Barbu, poursuivit-il en étouffant un bâillement, paraissant
quelque peu las de sa longue journée, est-ce tout ?
    — Nenni, Sire, dis-je, d’une voix que mon émeuvement
quelque peu étranglait, le plus important reste à dire : ceux qui dans le
royaume ont les yeux grands ouverts opinionnent avec le président de Thou que
laisser un tel procès indécis, c’est laisser votre vie, Sire, dans
l’incertitude ; et qu’au train où vont les choses, on court droit à la
surséance, si Votre Majesté ne consent pas à sortir de sa réserve, et à dire les
paroles qu’il y faut.
    — Lesquelles je ne prononcerai pas, dit le roi en
fichant son œil dans le mien d’un air tout à fait résolu, pour ce que ce serait
me brouiller avec le pape, et perdre tout espoir qu’il m’absolve de mon
excommunication, et reconnaisse ma conversion : reconnaissance, Siorac,
qui est la pièce maîtresse de ma politique, elle seule me pouvant permettre de
réconcilier durablement les Français.
    — Mais, Sire, dis-je non sans quelque flamme, si les
jésuites demeurent en ce pays, vous allez courir les plus mortels dangers. Les
pouvez-vous sous-estimer ?
    — Pas le moindrement du monde, Barbu. Mais ces périls
ne sont pas pires que ceux que je cours quotidiennement depuis vingt ans à
guerroyer, cousu comme tortue dans ma cuirasse. Barbu, je suis, comme tout un
chacun, dans la main de Dieu. Et Lui seul, qui m’a jusque-là sauvé des pires
embûches, me protégera un peu plus outre, si tel est son dessein. Barbu,
bonsoir ! Il est temps que mon sommeil me dorme !
    Je souligne cette phrase, pour ce que ne l’ayant jamais ouïe
que dans sa bouche, je m’apense qu’elle n’appartenait qu’à lui, tant est
qu’après tant d’années, je ne peux me la ramentevoir sans que ma gorge se noue
et sans que ladite phrase résonne à mes oreilles avec la voix drue et gaillarde
qu’il avait en la prononçant, car Henri se trouvait tant raffolé des choses
physiques qu’il en aimait tout ; et le marcher, et le galoper, et le
boire, et le manger, et le coqueliquer, et le danser, et le dormir, et le
désommeiller ! Que pitié que cette tant belle et pleine vie, si utile aux
Français, ait été coupée en la vigueur de l’âge !
    M. de Rosny me voulut inviter le lendemain avec
M. de La Surie à la repue de midi, et je lui fis de ma quête, du
procès des jésuites, et de leurs remuements pour la surséance, un récit qui
l’atterra. Mais ayant lui-même tâché de persuader le roi de dire le mot qu’il y
fallait, et le roi s’y étant froidement refusé avec les raisons en soi fort
bonnes que le lecteur connaît, Rosny ne put qu’il ne me confirmât dans
l’impression que j’avais eue, à savoir que le siège de Sa Majesté était
fait, et qu’on ne l’en branlerait mie, dût-on s’y mettre à mille.
    Le roi eût voulut me garder avec lui, mais ayant reçu, deux
jours avant mon département de Paris, une lettre de mon majordome me disant que
j’étais espéré en ma seigneurie du Chêne Rogneux pour les moissons, lesquelles
ne se pouvaient sans dommage délayer plus outre, je la montrai à Henri et
obtins de lui mon congé, non sans qu’il m’eût garni d’un viatique suffisant,
ayant heureusement vendu le rubis de la Couronne, barguin dont il ne me parla
qu’au bec à bec et en quérant de moi le secret, dans la crainte où il était, à
ce que j’imagine, que la Gabrielle l’apprit, ou pis encore que M. d’O,
s’il en avait vent, renonçât à lui envoyer pécunes, comme il l’avait promis.
    Cependant, de retour en Paris, j’y demeurai quatre jours,
opinionnant comme on dit dans la Bible « qu’il est un temps pour
tout », y compris, ce que la Bible ne dit pas, pour les amours. Toutefois,
ces quatre jours écoulés, et ayant reçu un message plus pressant encore de mon
majordome, je m’arrachai aux bras de ma Circé, et courus jusqu’à Montfort
l’Amaury, où je parvins à la nuitée, fort las, mais fort heureux de me
retrouver dans ma maison des champs, qui est à mon âge d’homme ce que Mespech
fut à mes

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