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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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le gloutir, se trouvait toujours en retard d’une tranche ; intervalle
dont notre Rémois usait pour dévorer les rondelets petits fromages frais de
chèvre qu’on lui avait servis, et dont il avala une bonne douzaine au moins
comme petites friandises de gueule de nulle conséquence.
    — Monsieur le Marquis, dit-il à la parfin, s’étant
essuyé le bec et les mains à une serviette que Franz lui tendait (ce qui me
ramentut le bon Michel de Montaigne en son logis, lequel mangeait si vite, et
avec ses doigts, et si malproprement, qu’il lui fallait une serviette après
chaque plat pour se débarbouiller la face et la barbe de graisse), la grand
merci à vous pour cette petitime collation qui quasiment me sauve la vie et me
remet ès veines du sang assez pour que je peuve parler. Monsieur le Marquis,
peux-je de prime quérir de vous si la négociation entre le duc de Guise et
les gens du roi pour la reddition de Reims a abouti ?

— À ma connaissance, dis-je très à la prudence et en
donnant l’impression que j’en savais plus que je n’en voulais dire, pas encore,
bien qu’on en soit proche assez.
    — Ha ! dit Rousselet avec un gros soupir qui me
parut sur sa fin de changer en rot, je suis bien aise de l’apprendre ! La
Dieu merci, j’adviens à temps ! Monsieur le Marquis, plaise à vous de
considérer que ce n’est pas moi seul, Rousselet, lieutenant du peuple en la
ville de Reims qui parle à vous, mais tous les Rémois, qui à vous me dépêchent
et délèguent pour vous dire que dès plusieurs mois jà, Reims s’ennuie de la
domination turbulente des princes lorrains, qu’elle est lasse d’être placée
encore contre son cœur dans le camp de la Ligue, qu’elle sait bien que tant
qu’elle sera comptée comme étant de la Ligue, elle ne pourra pas vendre ses
laines ès Paris comme elle faisait devant – ce qui pour elle est à grand
dol, dommage et ruine – et qu’en conséquence, elle voudrait, par-dessus la
tête du petit béjaune de Guise, se livrer au roi, espérant s’avantager par
là, non seulement du renouveau de son commerce, mais des immunités, privilèges
et franchises que le roi a si libéralement baillées aux villes qui se sont
rendues à lui.
    Sur quoi, Miroul et moi échangeâmes des regards connivents
et gausseurs tant nous parurent naïvement exprimées les raisons des Rémois, et
tant tardivement intéressé leur ralliement au roi.
    — Mais mon cher Rousselet, dis-je, pour vous parler
rondement et à la franche marguerite, entre le vouloir et le pouvoir il se peut
qu’il y ait un abîme. Je ne doute point que vous vouliez vous rendre au roi en
bons et loyaux sujets que vous fûtes toujours (disant quoi, j’espinchais Miroul
de côté). Mais le pouvez-vous ? Voilà le point. Après tout, le duc
de Guise a quelque troupe.
    — Mais petite ! dit Rousselet, petite ! Et
trop petite pour s’opposer à tout un peuple en armes. Car sachez, Monsieur le
Marquis, sachez que nous avons mis la nuit des corps de garde aux principales
places et autres lieux forts de la ville, et le jour aux tours, remparts et
châtelets d’entrée. Tant est que M. de Guise, s’étant aigri contre
nous de ces précautions, nous a défendu de les prendre. Mais il n’en a pas
pissé plus roide. Nous avons passé outre, et même refusé de laisser entrer
dedans la ville des troupes qu’il avait fait venir pour se fortifier. Voilà où
nous en sommes, et prêts, au premier mot du roi, baillé sous sa signature, et
sous son sceau et avec les promesses de franchises et privilèges pour Reims que
j’ai dites, (ici je jetai un œil à Miroul) soit à contraindre
M. de Guise à se donner au roi, soit même à nous saisir de sa
personne.
    — Ha ! mon ami, dis-je, voilà qui est bel et
bon ! Et vous vous ramentez sans doute que je vous avais dit à Reims de me
venir voir dès votre advenue en Paris, pour la raison que je vous mènerai à
M. de Rosny, lequel est doublement votre homme en ces occasions,
ayant l’oreille du roi, et en outre chargé par lui depuis peu de négocier un
accord avec les envoyés de Guise. Tant promis, tant tenu ! Toutefois,
M. de Rosny n’étant point en Paris demain, vous ne le pourrez pas
voir avant mercredi (phrase qui, à ce que je vis, en l’espinchant du coin de
l’oreille, plongea mon Miroul dans la perplexité). Dans l’entre-temps, j’ai
l’espérance, mon ami, que vous me ferez la grâce de demeurer mon hôte en

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