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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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et j’eusse manqué prou à l’honneur en ne ramenant point son corps en
mon village.
    Ayant dit, il s’agenouilla sur la poussière du chemin devant
le mort, et, les larmes lui coulant tout soudain, il se mit à faire oraison,
les mains jointes, l’air si grave et si chagrin que le silence se fit, tant
chez les pèlerins que chez les soldats de notre escorte. Quant à moi, je
confesse que je n’arrivais pas à détacher mon œil de ce brigand si parfaitement
pieux et poli.
    À la parfin, Catilina se releva, et avec le même air
d’aisance et de noblesse avec lequel il faisait tout, il se tourna vers moi et
me dit :
    — Monseigneur, plaise à vous de permettre que l’abbé
que voilà récite une brève prière sur ce frère mien qui a passé.
    Et de la main, il désignait le grand diable de prêtre que
j’avais vu se battre avec une vaillance léonine, et qui, appuyé d’une main à la
paroi rocheuse en surplomb, attentait, de l’autre, d’essuyer son épée
ensanglantée sur un buisson qui avait trouvé à se loger dans une fissure de la
pierre. Ce guillaume devait entendre l’italien, car dressant l’oreille aux
paroles de Catilina, il rengaina son arme et dit d’une voix douce et
chantante :
    — Bien volontiers, mon fils.
    Quoi dit, il se retourna. Et béant, je reconnus Fogacer.
     
     
    Ce ne fut pas sans mésaise que l’on trouva à Genova une
auberge assez grande pour loger et notre escorte et les pèlerins, lesquels
s’encontraient si terrifiés par l’embûche où ils avaient cru laisser leurs
bottes qu’ils nous avaient suppliés de demeurer en notre compagnie jusqu’à Rome,
but de leur saint voyage : ce à quoi j’acquiesçai d’autant plus volontiers
que j’appétai fort à ce que Fogacer demeurât auprès de moi, tant en raison de
notre ancienne, intime et immutable amitié que parce que j’ardais fort à savoir
le pourquoi de son étrange vêture.
    Il en est des alberguières italiennes comme des
françaises : avec cinq sols elles vous logent à plusieurs dans la même
malcommode chambrette et se peut même, dans le même lit. Avec un écu, elles
vous baillent une chambre digne d’un évêque, et une salle à manger à part, loin
de la noise vacarmeuse de la table d’hôte. Et si comme moi, vous ajoutez
cinquante sols, elles vous feront apporter une cuve à laver et tandis que vous
gloutirez votre repue, deux chambrières la viendront remplir, portant au bout
de leurs beaux bras rouges des seaux d’eau fumante.
    J’étais si las et, après le tohu-vabohu de cette journée, si
affamé de solitude que j’obtins de la Génoise, une matrone joufflue, mafflue et
fessue dont la lèvre se décorait de poils noirs (lesquels avaient essaimé
jusque dans l’échancrure de son corps de cotte), j’obtins, dis-je, deux
chambres, noulant du tout partager ma coite avec La Surie (le révérend
père Fogacer, au rebours de moi, appétant à partager la sienne avec son
acolyte). Toutefois, je devais à l’amitié de rompre le pain avec eux dans la
petite salle à manger où, de prime, Pissebœuf et Poussevent nous vinrent
retirer nos bottes, tandis que carrés et comme épatés dans nos cancans, et le
ventre à table, nous nous remplissions gaillardement de viandes et de vin.
    Cependant, la nuitée étant jà profonde, l’alberguière nous
vint apporter trois bougeoirs qu’elle posa sur la table en nous recommandant de
ne point trop délayer à notre repue, car chacun de nous trois devrait emporter
sa chandelle en sa chambre, sans espérer qu’elle-même lui pourrait en bailler
une autre, se trouvant fort à court.
    Et maintenant qu’à cette vive lumière on y voyait davantage,
je fus si fort frappé par la physionomie de l’acolyte que je me permis de lui
dire :
    — Monsieur, j’ai connu en Paris, servant chez un
révérend docteur médecin de mes amis, une jeune chambrière prénommée Jeannette
qui vous ressemblait prou : même ovale, mêmes yeux, même nez, même bouche
fraisière, même imberbe menton…
    — Monsieur le Marquis, dit l’acolyte en battant du cil,
cela n’est pas pour surprendre. Cette Jeannette est ma sœur jumelle. Mais pour
moi, on me prénomme Jeannot.
    — Va donc pour Jeannot, dis-je, en espinchant de côté
Fogacer, lequel oyait ce dialogue, le sourcil noir arqué sur son œil noisette,
mais sans mot piper. Jeannot, repris-je, tant en raison de vos cléricales
fonctions auprès de M. l’abbé Fogacer que pour l’amitié que

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