La pique du jour
dame et une souillon de cuisine,
qu’il était clair que j’allais fretin-fretailler avec toutes les chambrières de
toutes les auberges où j’allais gîter, n’aimant rien tant que les amours
vénales et publiques, et qu’arrivé à destination, où que j’allasse, je ne
tarderais pas à être plus couvert de femmes qu’un chien de puces. Assurément,
elle ne serait pas, quant à elle, folle assez pour exiger de moi promesses et
serments de lui être fidèle, ma traîtreuse langue étant plus habile à lécher
les féminins appas qu’à dire la vérité.
Quoi prononcé – l’œil bleu très étincelant, la parole
sifflante, et les griffes saillies – elle s’aquiéta tout soudain,
s’éteignit et d’une petite voix et dolente et piteuse, elle exigea de moi ces
mêmes promesses et serments qu’elle venait de répudier.
Belle lectrice, ne le savez-vous pas tout comme moi : il
en est des jurements de fidélité comme des compliments : il faut les
faire, non pas au petit cuiller, mais à la truelle, ou alors point du tout. Et
j’eusse été un Turc ou un barbaresque, si, voyant ma petite duchesse dans la
désespérance où elle se débattait, je n’eusse pas attenté de l’assouager par
toutes les assurances que je lui pouvais bailler et qui, combien qu’elles ne
fussent pas sûres, me venaient toutefois du cœur, sentant bien, au moment que
je les lui prodiguais, comme elles étaient fragiles et comme elles
s’encontraient pourtant nécessaires dans le prédicament où je la voyais.
Toutefois, au milieu même de ces serments, si forts dans
leur expression, si faibles dans leurs effets, j’avais scrupule et remords à
user, à l’égard d’un être que je chérissais, de ma facile langue, mais en même
temps je ne l’aimais que davantage, pour ce que je faisais tant d’efforts pour
lui mentir. Et elle, me croyant, me décroyant, me voulant croire, elle lisait
dans mes yeux une amour mille fois plus véridique que mes lèvres. Et à la fin,
épuisée qu’elle était, elle s’ococoula, quiète, contre moi, et elle pleura des
larmes plus douces, me gonflant le cœur quasiment de plus de tendresse que je
ne pouvais supporter.
Après avoir étudié les cartes, mon Miroul et moi, nous
décidâmes, afin d’éviter en pleine froidure hivernale de traverser les Alpes,
de pousser jusqu’à Marseille et là de longer la côte : ce qui fit un
voyage longuet, joli, plaisant par la douceur de l’air, mais où
l’envitaillement s’encontrait malcommode, car étant donné la stérilité du
terroir, on n’y trouvait que fort peu de chair (hormis l’agneau et la brebis),
point du tout de lait, de beurre, ni de fromage, et point autant de pain que
nous aurions voulu. Toutefois, le poisson abondait, frais et succulent, mais
peu aimé de notre escorte, laquelle se plaignait qu’on lui fît « faire
maigre » tous les jours de la semaine.
Nous nous apensions être assez forts pour n’avoir rien à
redouter des caïmans des grands chemins, lesquels, à l’accoutumée, ne mordent
point là où ils se peuvent les dents casser. Cependant, il nous fallut en
découdre, car à un mille ou deux après Nizza, qui est un petit port fort joli
sur la Méditerranée, nous ouïmes devant nous sur le chemin de grands
huchements, les uns de male rage, les autres de détresse, et dans ceux-ci ayant
discerné des mots français, nous donnâmes de l’éperon et mettant nos montures
au galop, nous fondîmes au milieu d’un chamaillis confus qui mettait aux prises
une vingtaine de vaunéants armés de blic et de bloc et un nombre égal de
pèlerins, ceux-là en mauvaise posture, pour ce qu’ils comptaient parmi eux cinq
ou six femmes, lesquelles n’étaient armées que de ces poignards que ma
belle-sœur, Dame Gertrude du Luc, portait à sa ceinture, mais dont, au
contraire de Gertrude, ces pauvres demoiselles n’osaient se servir, s’estimant,
se peut, moins menacées dans leur vie que dans leur vertu.
L’embûche était rusée et le site bien choisi, pour ce qu’à
cet endroit le grand chemin de Nizza à Genova court entre des rochers fort
escarpés à main senestre, et à main dextre un ravin pierreux et précipiteux qui
plonge dans la mer. Et cette italienne truandaille, ayant eu la finesse de
barrer la route de quelques rochers et d’apparaître sur les arrières des
pèlerins, elle leur coupait toute retraite, à moins qu’ils préférassent la
noyade à la mort.
Ce n’est pas que
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