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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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m’inspire
votre bonne mine, soyez à ma table, jusqu’à la fin de ce voyage, le très bien
venu.
    — Monsieur le Marquis, dit Jeannot, la grand merci à
vous. Et peux-je dire que votre condescension à mon endroit ajoute à la
gratitude que je nourrirai à jamais pour avoir sauvé la vie de M. l’abbé
Fogacer et fort probablement la mienne.
    — À moins, mon enfant, dit Fogacer avec son lent et
sinueux sourire, qu’un sort plus rude que la mort t’eût été réservé…
    À quoi Jeannot rougit, et un ange passa, lequel ne trouvant
rien d’angélique en le dessous de cette réplique, s’envola tout de gob.
    — Monsieur l’abbé, dis-je (Et, belle lectrice,
par-donnez-moi, mais tous ces propos se poursuivirent la bouche pleine, la dent
mâchellante, et la gargamel avalante, pour la raison que j’étais lors tout
aussi avide de connaissances que de terrestre nourriture). Monsieur l’abbé,
peux-je dire que je suis tant étonné des circonstances de notre encontre que
j’ai quelque appétit à questions poser.
    —  Mi fili, dit Fogacer, j’accepte toutes
questions, sans toutefois garantir mes réponses, ni leur fidélité au vrai.
    — Qu’en est-il – la question arde et brûle mes
lèvres depuis trois heures –, qu’en est-il de cette soutane ?
    — Pourquoi ? dit Fogacer en levant son sourcil
diabolique, la trouvez-vous mal coupée ?
    — Je dirais, dit La Surie, que cette soutane
soutient fort bien votre personnage. Pour un peu, on vous croirait né avec
elle.
    — Mon ami, repris-je, je m’entends : cette
soutane, la méritez-vous ?
    — C’est là, dit Fogacer, une grave question. Pierre
d’Épinac, archevêque de Lyon, méritait-il sa belle robe violette, lui qui
coqueliquait avec sa propre sœur ? La réponse n’appartient qu’à Dieu.
    — J’entends, dis-je, cette soutane est-elle
vraie ?
    — La soutane des jésuites, dit Fogacer, est-elle vraie,
eux qui, étant réguliers, eussent dû porter la robe de bure, la corde et les
sandales ?
    — Je m’entends, repris-je, cette soutane est-elle un
masque ?
    — Toutes les vêtures me sont un masque, dit Fogacer
dont le ton, cette fois, ne me parut pas si badinant, moi à qui l’on défend de
paraître sous mon véritable visage.
    — Je m’entends, dis-je : vous y sentez-vous la
conscience à l’aise ?
    — Ma conscience n’est pas dans ma vêture, dit Fogacer,
reprenant son ton léger et son sinueux sourire.
    — Eh bien donc, dis-je, voici ma dernière attaque
puisque toutes ont été repoussées. Comment trouvez-vous le port de la soutane ?
    — Malcommode sur le chemin. Fort commode à destination.
    — Votre destination étant Rome, à ce que je crois.
    — Où, dit Fogacer, la paupière baissée et les mains
jointes sur ses viandes, je vais gagner toutes les indulgences qui jusque-là
m’ont fait si cruellement défaut…
    — Il se pourrait, dis-je après un instant de silence,
que votre flèche et la mienne, bien que tirées par deux archers différents,
visent à Rome la même cible.
    — C’est plus que probable, dit Fogacer. Vous savez donc
qui me tire.
    — Je le connais et je l’honore, dis-je gravement.
Jamais évêque n’a mieux servi le roi en se servant lui-même.
    — Amen, dit Fogacer avec un petit pétillement de son
œil noisette. Ce petit vin italien n’est des pires, reprit-il. Je le bois à la
santé de mon bon maître, Mgr Du Perron, au succès de sa grande
mission à venir et à son futur chapeau.
    — Quel chapeau ? dit Jeannot innocemment.
    — Monsieur, dit Fogacer, voudriez-vous qu’un cardinal
aille tête nue ?
    Sur ces dernières répliques, la conversation était descendue
à d’onctueux murmures et, sur un signe que je lui fis, La Surie prit un
bougeoir, et tirant vers la porte à pas de chat, l’ouvrit fort brusquement,
mais derrière l’huis n’encontra que le viret qui menait à nos chambres. Il le
reclouit.
    — Voilà qui va bien, dis-je. Si votre cible, monsieur
l’Abbé, comme je crois, est un autre petit abbé, et comme de robe à robe on
n’est pas sans se connaître, se peut que vous puissiez sur lui éclairer ma
lanterne.
    —  Mi fili, qu’appétez-vous à savoir ? dit
Fogacer.
    — D’où il vient et où il va.
    — Il vient de l’obscurité d’une robe noire ; et de
là, aspire, s’il ne l’a pas jà, à l’éclat discret d’une robe violette et s’il
l’a jà, à la pompe d’une robe pourpre.
    — Je

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