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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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jusques ores refusé l’existence, et qui plus est, me frappa avec
une sorte de remords, comme si j’eusse été infidèle à ma grande amour par le
fait même que j’avais refusé, dans un premier moment, de m’affliger de cette
séparation, tant parce que je bondissais de joie en mon for de pouvoir derechef
servir le roi dans une affaire pour lui-même et le royaume de grande
conséquence, que parce que l’attrait du voyage et de l’aventure me donnait des
ailes, lesquelles, dans mon hypocritesse imagination, n’étaient pas toutes des
ailes d’ange, tant s’en fallait…
    Et combien que le sommeil à la parfin me vînt retirer de ma
vergogne, je la retrouvai intacte le lendemain, et m’en aigris le cœur tout le
long du chemin qui conduisait à la petite porte verte, et jusque dans les bras
de mamie, en lesquels de prime j’attentais de la perdre en me gorgeant de ces
plaisirs qui, dans deux jours, nous allaient être ôtés, sans qu’elle le sût
encore.
    — Mon Pierre, me dit-elle quand à nos tumultes succéda
cet instant délicieux où les corps étant rassasiés, les cœurs parlent plus
librement. Mon Pierre, vos yeux portent, ce me semble, un air songeard et
mélanconique. Ne savez-vous pas que si un souci vous point, vous devez à notre
violente amour de le partager avec moi ?
    Hélas ! m’apensai-je, le partage n’allait point du tout
être égal, car sans nul doute, elle allait en porter la part la plus lourde,
demeurant délaissée en son logis, tandis que je serais moi sollicité en mon
aventureux voyage par une multitude d’objets nouveaux, tant de sites que de
villes et de personnes.
    Le cœur me toqua rudement aux premiers mots que je prononçai
d’une voix quasi étranglée, la parole blèze et bégayante, mais à la parfin,
quoique d’une façon fort entrecoupée, je lui dis tout, hormis le lieu où je
m’allais rendre – ma mission étant secrète, même pour elle – et aussi
le temps que j’y serai, pour ce que je ne le pouvais prévoir, la décision de
cette grande affaire étant dans des mains plus importantes que les miennes.
    Ha, belle lectrice, j’eus de ma jolie duchesse et au-delà,
tout ce que vous avez jà imaginé de cette amour si entière, si passionnée et
dans sa vie si tardive : le silence atterré, l’immobilité pierreuse, la
puérile décréance, les cris, les insensés reproches, les menaces de ne me
revoir mie, les serments de se daguer ou de se serrer dans un couvent, et même
selon son infantine guise, les battures et frappements, lesquels tant
l’épuisèrent qu’elle retomba dans un silence glacé qui, tout d’un coup, fondit
en un torrent de larmes, auxquelles je ne laissais pas de joindre les miennes,
me sentant fort tourmenté du pâtiment que je lui donnais, fort impuissant à le
lui ôter, et fort coupable, quoi que j’en eusse, d’être la cause de tant de
maux.
    — Mon Pierre, dit-elle d’une petite voix qui me tordit
le cœur, m’écrirez-vous au moins ?
    — Hélas non, mon ange, cela ne se peut : vous ne
devez pas savoir où je suis. Mais si comme le roi l’a quis de moi, j’ai
occasion de lui dépêcher M. de La Surie, celui-ci vous remettra
de moi une lettre missive, pour peu que vous me promettiez de ne pas lui faire
trop de questions, ni de vous encolérer contre lui s’il ne peut répondre.
    Elle me le promit, s’enquit du jour de mon départir,
s’effraya tout soudain qu’il fût si proche, et sur la demande que je lui fis de
la venir visiter le lendemain, elle me répondit d’un ton las et l’œil désespéré
que je fisse comme je voulus, que me voir le lendemain ou ne me voir point,
c’était quasi tout un pour elle, tant elle avait le sentiment que j’étais jà et
parti et perdu. Cependant, au moment de nous séparer, elle me serra contre soi
avec une force que je n’eusse pas attendue de ses bras potelés, et me dit à
l’oreille d’une voix basse et larmoyante :
    — À demain, mon Pierre.
    Et le lendemain, l’œil rouge et la face chaffourrée, elle ne
voulut de prime ni dérober ses cotillons, ni coqueliquer. Puis elle le voulut
ensuite, s’y livra très à la fureur, et quand ce fut fait, elle s’en repentit,
et se retournant contre moi, me le reprocha, disant qu’il fallait que je fusse
tout à plein sans cœur pour avoir goût à ces jeux, alors que je l’allais
quitter ; que de reste, elle le voyait bien, et l’avait toujours su, je ne
faisais pas de différence entre une haute

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