La pique du jour
d’aucuns hommes dans cette troupe ne se
défendissent avec vaillance, en particulier un grand diable de prêtre qui me
tournait le dos, et qui, quand nous advînmes, baillait de sa longue épée,
brandie au bout de son long bras, de bonnes buffes et torchons à ceux qui
osaient l’approcher.
— Cornedebœuf, Monsieur ! Tenez bon !
criai-je en cassant d’un coup de pistolet la tête d’un vaunéant qui le voulait
arquebuser de derrière la barricade. Mais à nous voir, le gros des caïmans,
terrifié par notre nombre, nos armes et nos forts chevaux, nous montrait leurs
croupières et dévalait avec une émerveillable agilité le ravin pierreux qui
menait à la mer, se peut pour embarquer dans une barquette qui se cachait,
invisible du chemin, dans une petite crique.
M. de La Surie eût voulu accompagner cette
précipitée retraite d’une bonne mousquetade, mais je noulus. Deux pèlerins
étaient navrés, l’un d’eux grièvement assez, et quant à la truandaille, elle
laissait un mort sur le chemin, sans compter les blessés, car les pierres du
ravin qui avaient vu leur fuite, portaient des traces de sang qui brillaient
lugubrement sous le chaud soleil. Je pansai les navrés, fis donner de l’eau à
tous, et ordonnai qu’on liât le mort sur une des mules afin que de l’enterrer
dans le cimetière du plus proche village.
On en était là de ces préparatifs, quand Pissebœuf me dit en
oc :
— Moussu, ces vaunéants brandissent en contrebas un
torchon blanc.
Et, en effet, à mi-chemin du ravin derrière un rocher, je
vis une sorte de guenille grisâtre, laquelle était exagitée qui-cy qui-là au
bout d’un bras qu’on ne voyait point.
— Que voulez-vous ? criai-je en italien.
— Monseigneur, dit une voix, mais sans qu’une tête apparût,
nous quérons de votre grâce la permission de venir chercher celui de nous que
vous avez dépêché.
— C’est quelque ruse, dit La Surie en oc. Je ne me
fierais pas à ces hommes, même si un ange les accompagnait.
— Venez à deux ! criai-je, et sans armes.
Quoi disant, je fis aligner une dizaine d’arquebusiers le
long du ravin, à genoux, et la mèche allumée, et je fis garder aussi la route
en amont et en aval par deux groupes d’égale force. Quoi fait, je rechargeai
mes deux pistolets et je vis que M. de La Surie faisait de même,
l’air fort sourcilleux.
— Monseigneur, cria la voix, ai-je votre parole de
gentilhomme et de chrétien de nous laisser repartir sains et saufs avec le
corps ?
Ce « chrétien » m’ébaudit fort dans le bec de ce
percebedaine :
— Tu l’as, criai-je, au nom de tous les saints et de la
Benoîte Vierge ! Mais hâte-toi ! Nous ne pouvons délayer plus
outre !
Deux nommes alors se détachèrent du rocher, lesquels se
mirent à gravir la pente abrupte du ravin avec une adresse et une rapidité qui
ne laissa pas de m’émerveiller, alors même que, mes deux pistolets à la main,
je gardais un œil, et sur eux et sur les alentours, l’ouïe aussi fort
attentive, tandis que Pissebœuf et Poussevent détachaient de la mule le corps
du caïman que j’avais dépêché et le déposaient sur le chemin.
Cependant, les deux hommes surgirent au milieu de nous, et
celui des deux qui paraissait être le chef, jetant un regard aigu et nullement
effrayé autour de lui, vint à moi sans hésitation et se campant sur ses gambes,
me salua et dit d’une voix forte :
— Monseigneur, la grand merci à vous de votre
magnanimité. Je me nomme Catilina, ajouta-t-il noblement, comme si son nom de
brigand ne devait pas m’être déconnu.
— Signor Catilina, dis-je la face imperscrutable,
j’eusse aimé vous encontrer en un autre prédicament.
— C’est là le hasard de la guerre, dit Catilina avec le
même air de noblesse, lequel il portait avec naturel et sans piaffe aucune.
De son physique, c’était un homme de stature moyenne, fort
noir de poil et de peau, mais la face franche et plaisante, et une carrure qui
annonçait beaucoup de force. Je m’apensai, en l’envisageant, que l’aristocrate
de la Rome antique dont il portait le nom ne devait pas être fort différent de
lui en sa corporelle enveloppe, ni se peut en son humeur.
— Signor Catilina, repris-je, vous vous êtes mis très
au hasard de votre vie en vous confiant à moi. Il a donc fallu que vous aimiez
prou ce compagnon à qui notre chamaillis fut fatal.
— C’était mon frère, dit Catilina en baissant la
paupière,
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