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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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cardinal à Rome et
de connaître à fond les rues et les avenues de la politique vaticane ?
    — C’en est un, dit Giustiniani en me jetant un œil
entendu. Surtout en le présent prédicament…
    Le cardinal me laissa en l’antichambre de la salle
d’audience où, me dit-il, le camérier du pape, le moment venu, me viendrait
chercher et je demeurai là un assez long moment à me demander ce que penserait
le pauvre oncle Sauveterre, s’il pouvait me voir attendant, non sans
impatience, le moment, au cœur de la « Babylone moderne », de me
prosterner aux pieds de « l’idole papiste », et de baiser sa
pantoufle…
    Mais je ne pus m’attarder plus outre sur ce pensement pour
ce qu’entra dans l’antichambre un seigneur vêtu de velours noir avec une fraise
à l’espagnole, lequel avait fort bonne mine et, à mon sentiment, n’avait pas
trente ans. Et moi, voyant bien qu’il ne pouvait s’agir que de Don Luis Delfín
de Lorca, qui était Grand d’Espagne, je me levai et, me découvrant, je lui fis
un profond salut. Il parut comme étonné de prime de cet accueil, venant d’un
gentilhomme français, m’envisagea avec gravité et étant content, je pense, de
ce qu’il voyait, me sourit et, à son tour, se découvrit : immense condescension
de sa part, puisqu’un Grand d’Espagne ne se découvre même pas devant son roi. À
quoi, voulant lui montrer que j’étais sensible à cet honneur, je lui
contresouris et lui fis un second salut. Auquel il répondit tout de gob et de
son sourire, et de son grand chapeau. Nous fîmes ainsi assaut de civilités
pendant une bonne minute, les commissures de mes lèvres me doulant à force de
sourire et ma dextre fort lassée de remettre et d’ôter ma coiffure. À la
parfin, d’un commun accord, nous laissâmes nos chapeaux tranquilles et passâmes
au langage articulé.
    —  Señor Marqués, dis-je en espagnol, je suis
charmé d’avoir l’occasion de vous encontrer et c’est un fort grand honneur pour
moi.
    — Monsieur le Marquis, dit-il en français, tout
l’honneur est assurément pour ma personne.
    Ici, lecteur, je simplifie prou nos phrases, lesquelles
s’encontraient, selon la mode qui trotte en nos pays, beaucoup plus ampoulées
et j’abrège aussi notre échange qui fut fort long, chacun ayant à cœur de
prouver qu’un Français n’est pas moins poli qu’un Espagnol, ni un Espagnol
qu’un Français. Et la démonstration, après cinq bonnes minutes, nous paraissant
faite à notre mutuelle satisfaction, je passai à un sujet qui me tenait à cœur.
    —  Señor Marqués, dis-je, j’ai recueilli en ma
demeure, durant le siège de Paris, une Doña Clara Delfín de Lorca. Est-elle
votre parente ?
    — Comment ? Comment ? s’écria Don Luis en
levant ses sourcils qu’il avait fort noirs et fort arqués (mais sans donner
rien de sombre ni de sévère à sa physionomie) et m’envisageant comme s’il me
voyait à la parfin, non point seulement dans ma corporelle enveloppe, mais dans
ma spirituelle essence : comment, Marquis ? dit-il, ses dents
blanches éclatant dans le plus affectionné sourire, vous êtes donc le fameux
Siorac dont Doña Clara chante le los des matines aux vêpres ? Il n’est pas
une seule chambrière, ni un seul maggiordomo dans tout mon domestique
(car elle vit avec moi, s’occupant émerveillablement de mes enfants depuis
l’intempérie de mon épouse) qui n’ait appris à reconnaître le bruit de votre
nom et l’odeur de vos vertus. Car, à l’en croire, de tous les gentilshommes qui
peuplent la chrétienté, vous êtes assurément le meilleur, et comme l ’épitomé de toutes les perfections qui se peuvent encontrer chez un homme.
    Je crus de prime qu’il gaussait, et éprouvai à ce pensement
quelque mésaise, mais n’épiant pas dans son œil velouté la plus petite parcelle
de dérision, je vis bien que sa parole était d’or, et non de cuivre, et
m’avisai que le temps, se peut, m’avait, dans l’esprit de Doña Clara, bonifié
comme le bon vin, rejetant dans l’oubli l’aigreux et le tanin. Car à la vérité,
il y avait bien loin des belles ailes dont meshui elle décorait mes épaules aux
pieds fourchus dont elle m’avait diabliculé dans sa lettre d’adieu.
    —  Señor Marqués, dis-je, je suis charmé que Doña
Clara parle en ces termes de moi et plus qu’enchanté d’ouïr qu’elle s’encontre
de présent à Rome dans votre demeure, car touchant le bien qu’elle pense

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