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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de
moi, il faudrait le multiplier par cent pour atteindre à l’estime et à
l’affection que je nourrissais pour elle. Je la vis départir de Paris avec un
regret infini et si elle consentait à me venir visiter en mon logis romain,
j’en serais excessivement heureux.
    — Je le lui dirai, assurément, dit Don Luis.
    Mais il ne put poursuivre, car à ce moment une clochette
tintinnabula et, écartant un lourd rideau de velours pourpre, le camérier du
pape apparut et dit :
    — Messieurs, il est temps. Don Luis Delfín de Lorca se
devra le premier présenter. Et après lui Monsieur de Siorac.
    Nous entrâmes l’un après l’autre, mais tandis que je restais
debout à côté du rideau, Don Luis avança de deux pas et mit un genou à terre.
Mais je ne vais point de gob dire ce qu’il fit, puisque je le refis le moment
venu en imitation de chacun de ses gestes, comme le cardinal Giustiniani me
l’avait conseillé. Toutefois, mon attention se trouvait divisée, car tout en
suivant les mouvements de Don Luis, puisqu’il me les faudrait répéter,
j’envisageais en même temps le pape avec une très vive curieusité.
    Sua Santita était assis sur une sorte de trône, sans
personne d’autre à son côté qu’un seigneur de haute mine, lequel siégeait à sa
main senestre, le chapeau à la main, et que je m’apensai être l’ambassadeur
d’Espagne, le duc de Sessa, puisque Don Luis allait être par lui présenté au
pape. La pièce était vide de meubles à l’exception du trône où se trouvait
l’ambassadeur et d’une table qui ne me parut pas avoir d’autre emploi que de
mettre une petite clochette à portée du Saint Père. Mais il va sans dire que
c’est sur celui-ci que mon œil se collait avec une extrême avidité, me
demandant si, à le voir, je pourrais discerner si Sa Sainteté aurait assez
de fortitude pour passer outre, le moment venu, aux pressions espagnoles. Et à
dire le vrai, je ne sus que décider. Car sa face ne me parut pas, quoique un
peu molle, ni sans esprit ni sans bonté. Mais gardant en mémoire la formidable
physionomie de Sixte Quint, telle que d’ordinaire la peinture représentait ses
traits, avec ses yeux noirs fulgurants et sa lourde mâchoire, il ne me parut
pas qu’en comparaison, la face de son successeur portât autre chose qu’une
sorte de douce obstination. Mais peut-être cette douceur, du moins si l’on en
croit l’Évangile, était-elle suffisante pour vaincre ?
    Je n’ouïs pas, étant trop loin, ce que dit Clément VIII
à Don Luis, mais je compris que la présentation à Sua Santita était
finie, quand je vis le marquis espagnol se lever et à reculons, et par étapes,
revenir à moi. Fort attentif à la façon dont il se retirait, puisque je devais
l’imiter, je ne vis pas l’ambassadeur espagnol s’en aller et fus surpris, en
jetant un œil, de voir assis à sa place le cardinal Giustiniani. Mon tour était
donc venu, mais le camérier me faisant signe d’attendre encore, je demeurai
quiet, encore que le cœur me toquât quelque peu, et vis passer à côté de moi,
pour disparaître par la portière de velours, me croisant, mais sans
m’envisager, la face pâle et grave, l’œil baissé et l’air recueilli comme s’il
venait de communier, Don Luis Delfín de Lorca.
    Le camérier me tapotant alors l’épaule, j’entendis que le
moment était venu pour moi de jouer mon rollet en cette cérémonie. J’avançai de
deux pas dans la pièce, mis un genou à terre et attendis que le pape (lequel
conversait sotto voce avec Giustiniani) me voulût bien voir et bénir. Ce
qu’il fit enfin. Je me relevai et marchai alors vers le Saint Père non point
tout dret et à travers la pièce, mais comme Don Luis avait fait, en gauchissant
et rondissant ma marche le long du mur. Parvenu à mi-chemin, je me génuflexai
derechef sur un seul genou et derechef le pape me bénit. Ce qui me permit de me
relever et de parvenir jusqu’au pied de son trône où je trouvai un tapis à
hauts poils, de sept pieds environ de long, sur lequel je me mis cette fois à
deux genoux. Dès qu’il me vit en cette assiette, le cardinal Giustiniani (qui
remplaçait en cette fonction, comme il avait dit, l’ambassadeur de France) se
génuflexa sur un seul genou et retroussa la robe du Saint Père sur le pied
droit, lequel était chaussé d’une pantoufle rouge portant sur le dessus une
petite croix blanche. Et cette pantoufle étant ma cible, comme bien je savais,
je tirai

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