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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Giustiniani, se peut qu’il faudrait
vous garder mieux.
    — Me gardé-je mal ?
    — Je ne sais. Vincenti me dit que vous n’aviez pas
observé qu’il vous avait suivi de la Porta del Popolo jusqu’à ma maison.
    — Qui est Vincenti ?
    — Le petit homme qui vous a loué ma maison. Il est à
moi.
    — Touché ! dis-je en levant la main comme un
duelliste (toutefois assez piqué en mon for). La merci à vous, Vostra
Eminenza, de cet avertissement. Je vais m’armer.
    —  Marchese, dit le cardinal, peux-je vous
ramentevoir que depuis Sixte Quint, il est interdit, sous peine de mort, de se
promener dans Rome avec une arme à feu à la main. Toutefois, vous pouvez
dissimuler un petit pistolet dans une manche de votre pourpoint.
    — Je le ferai donc.
    — J’opine cependant, reprit Giustiniani, que la
meilleure défense est de ne voir de longtemps ni d’Ossat ni moi-même.
    —  Vostra Eminenza, que devient ma mission si je
me prive de mes oreilles ?
    — Vincenti vous prêtera les siennes. Et pour le reste,
reprit Giustiniani avec un air de gravité qui me laissa béant, il serait bon,
pour donner le change, que vous sortiez beaucoup et viviez très à l’étourdie…
     
     
    Quand Giustiniani me déposa devant la porte de son ancien
palais, je trouvai un mendicante [51] assis sur une des bornes de ma porte
cochère, lequel, le menton pensivement appuyé sur le dos de sa dextre, et
celle-ci appuyée sur un bâton, me tendit la main senestre et me dit sur le ton
de la gravité plutôt que de la supplication :
    —  Signor Marchese, fate ben per voi [52] .
    Cette formule que je n’avais jamais ouï un caïman employer
en France ne manqua pas de m’ébaudir et, m’arrêtant, je dis au gautier :
    — Pourquoi dans mon intérêt ?
    —  Quas dederis, solas semper habebis opes [53] .
    —  Benoîte Vierge ! dis-je. Un mendicante qui cite le latin !
    — Je fus moine autrefois, dit le guillaume.
    — Et pourquoi ne l’es-tu plus ?
    — Pour deux raisons : Primo, j’aime mieux
trémuler de froid dans la gaieté d’une ville que dans un cloître. Secundo  :
je préfère mendier pour moi-même que pour un ordre.
    — C’est raison, dis-je. Toutefois, tu es très
vigoureux. Tes épaules annoncent beaucoup de force. Pourquoi ne fais-tu
rien ?
    —  Il fare non importa, signor, ma il pensare [54] .
    — Et à quoi penses-tu ?
    —  All’ eternita [55] , dit-il en donnant à ces trois mots
italiens une émerveillable pompe.
    — Sujet immense ! Et pourquoi le bâton ?
    —  Signor Marchese, dès l’instant où vous m’aurez
baillé clicailles, d’autres mendiants ne manqueront pas d’importuner votre
porte. Voilà qui fera place nette.
    — Qui te rend si assuré que je te baillerai
pécunes ?
    — Deux raisons, Signor Marchese.
    —  Tes raisons vont-elles toujours par
deux ?
    — Comme le couple humain.
    — Poursuis.
    —  Primo : je vous ai amusé. Secundo : vous êtes homme à faire la différence entre un mendicante di merito e un
mendicante di niente [56] .
    —  Si j’en crois ton proverbe latin, voici donc
une richesse que je posséderai toujours, dis-je en lui mettant quelques
monnaies dans la main. En outre, je vais te faire porter un vieux pourpoint à
moi pour jeter sur tes guenilles. Le temps est froidureux.
    —  Grazie infinite [57] , Signor Marchese ! Mais
avec votre permission, je le porterai sous mes guenilles et non dessus. Un
mendiant, comme un cardinal, doit avoir l’habit de son état.
    À quoi je ris à gueule bec.
    — Si je t’entends bien, tu es d’ores en avant mon mendicante attitré.
    —  Si, Signor Marchese, dit le gautier gravement,
et le premier service que je vous rendrai, c’est que je serai le seul :
fiez-vous à ce bâton.
    — Me rendras-tu d’autres services ?
    —  Che sarà, sarà [58] , dit-il en levant l’œil, mais à vrai
dire, étant quelque peu bancal de la pupille, quand il levait l’œil dextre vers
le ciel, l’œil senestre demeurait fiché en la terre. Signor Marchese, reprit-il,
plaise à vous, pour éviter de très déplaisants désaccords, de dire à vos gens
qui je suis et que mes guenilles ont droit à cette borne.
    — Je n’y faillirai pas. Quel est ton nom ?
    — Alfonso délia Strada.
    — Par tous les saints, dis-je en riant, serais-tu
noble ?
    — Faux, comme beaucoup à Rome. Je me suis baillé à
moi-même ce nom, du temps où je déambulais prou par les grands chemins

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