La pique du jour
avec un petit brillement
de son œil bleu azur, l’exil des jésuites n’a pas fait du bien à votre cause.
Mais il ne lui a pas fait autant de mal que le duc de Sessa et les jésuites
l’eussent voulu. Dieu leur pardonne, dit Giustiniani avec l’ombre d’une petite
gausserie, leur zèle les a emportés trop loin. Ils ont beaucoup menti au pape
pour nuire à votre prince. Marchese, j’ai vergogne à répéter ces
mensonges, tant ils sont impertinents. Je crains qu’ils ne vous offensent.
— Vostra Eminenza, dis-je avec un salut, si
j’avais dû être navré par les menteries des prêtres ligueux que j’ai ouïes en
Paris durant le siège, meshui je ne serais que plaies…
— Bene, dit Giustiniani avec un demi-sourire, je
poursuis : Les jésuites prétendent que leur bannissement découle d’une
résolution prise par l’assemblée générale des protestants à Montauban.
— Cornedebœuf ! m’écriai-je, mais cette assemblée
s’est tenue il y a dix ou douze ans sous le règne de Henri Troisième !
— Nous le savons, dit Giustiniani, me laissant
entendre par ce « nous » que le pape n’avait pas été dupe de ce
propos. Les jésuites, reprit-il, assurent aussi qu’après eux, ce sera le tour
des chartreux, des minimes et des capucins à être expulsés de France ; que
déjà les bons catholiques, comme Séguier, sont chassés de leur charge ;
que le maréchal de Bouillon saccage les églises du Luxembourg et foule aux
pieds le Saint Sacrement. Qu’en bref, la religion en France s’en va meshui en
pire état qu’en Angleterre…
— Mais tout cela, dis-je, est d’une fausseté à
crier !
— Ou à pleurer, dit Giustiniani. Car nous savons bien,
en particulier, que les autres ordres religieux en France ne sont nullement
menacés, encore que le prince de Béarn (le cardinal n’osait dire le roi, le
pape ne l’ayant pas reconnu) soit vivement navré de leur refus de faire oraison
à Dieu pour la conservation de sa vie. Mais, Marchese, nous avons
là-dessus contenté le prince ; Sua Santita a permis aux chartreux,
minimes et capucins de prier d’ores en avant pour lui, sans toutefois leur en
bailler rien par écrit. Mais Elle l’a dit de vive bouche à leurs protecteurs à
Rome afin que de le leur faire savoir.
Ceci non seulement me contenta (et je le dis à
Son Éminence) mais m’ébaudit aussi en mon for comme un bel exemple de
finesse vaticane, une permission donnée de vive bouche étant plus facile à
révoquer ou à nier qu’un ordre écrit.
— Quant au maréchal de Bouillon, dis-je…
— Calomnie pure ! dit Giustiniani. Assurément,
M. de Bouillon est huguenot, mais nous savons aussi qu’il est un des
plus modérés de sa secte, et que saccager une église catholique ne lui
viendrait même pas dedans l’esprit. En bref, Marchese, ces méchancetés
et médisances ont davantage nui à leurs auteurs qu’à la cause de votre prince.
Sans doute, poursuivit le cardinal en écartant les bras de son corps et en
ouvrant tout grands ses yeux azuréens, Sua Santita est très affectionnée
aux jésuites et tient à grand scandale que leur ordre ait été expulsé de
France. Mais…
Ce « mais », ou plutôt ce ma italien, fut
très long, le a final étant étiré, modulé, et prolongé encore, et par un
grand geste de la main et par le silence qui suivit, le cardinal, dans le même
temps, fixant les yeux au ciel et haussant quelque peu les épaules. Après quoi,
il m’envisagea avec un petit brillement connivent de sa prunelle bleue. Et si
je tâche, lecteur, de donner un contenu à ce ma qui ne disait rien, mais
qui suggérait des volumes, j’avancerais que Clément VIII n’était, se peut,
pas très content que le général des jésuites fût nommé par Philippe II et
non par lui-même ; que l’obéissance des jésuites au pape ne vînt dans les
règles de l’ordre de saint Ignace qu’après leur obéissance à leur
général ; que les jésuites eussent combattu bec et ongles son protecteur
Sixte Quint, ne craignant pas de l’appeler « Navarriste » et
« suppôt d’hérétique » ; et qu’enfin les jésuites, dans leur
conduite des affaires, paraissaient avoir davantage à cœur les intérêts
espagnols que les intérêts du pape. Toutes réserves assurément qui
n’empêchaient point le pape d’être à eux « très affectionné » et de
pleurer publiquement sur leur bannissement, mais aussi, comme je l’appris deux
jours plus
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