Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
tard, de commander à leur général de dépêcher hors de Rome les
auteurs des « menteries et médisances » qui l’avaient affligé.
    Après ce ma (que je savourai longuement dans le fond
de mon cœur) le cardinal jeta un œil à une horloge en bronze doré qui décorait
une table en marbre et dit avec un certain air de pompe :
    —  Marchese, il est temps de se rendre chez Sua
Santita.
    Ajoutant aussitôt d’un ton beaucoup plus familier :
    — Cette horloge m’a été donnée par Grégoire XIV.
Comme vous savez, on lui en apportait à réparer d’Italie, de France, d’Espagne
et même de Pologne. Mais comme sa tête était faible assez et qu’il ne se
ramentevait plus qui les lui avait baillées et personne, naturellement, n’osant
les lui réclamer, il était contraint de les distribuer autour de lui pour ne
pas succomber sous le nombre. Che peccato [48]  !
poursuivit le cardinal à mi-voix, quand son maggiordomo se fut retiré
après lui avoir posé sa grande cape sur les épaules. Che peccato que ce
bon pape n’ait pas su raccommoder les morceaux épars de la chrétienté aussi
bien que les horloges…
    Son Éminence, en son extrême condescension et italienne
courtoisie, me fit monter avant Elle dans sa carrosse, laquelle était
magnifiquement dorée et sculptée et tirée par quatre beaux chevaux. J’observai
que le cardinal ordonnait à un des valets de coulisser les rideaux dans le
dedans de la coche, ce qui me donna à penser qu’il ne tenait pas à être vu en
ma compagnie, le seul fait d’être français vous faisant, je gage, quelque peu
sentir le soufre en la ville éternelle, sauf si l’on était ligueux ou jésuite.
    —  Marchese, dit Giustiniani en me tapotant le genou
de l’index de sa main gantée, la coutume veut qu’un gentilhomme étranger soit
présenté au pape par l’ambassadeur de son pays. Mais comme de présent, le pape
ne peut recevoir d’ambassadeur français du fait qu’il ne reconnaît pas comme
roi le prince de Béarn, je serai celui qui vous introduira à Sua Santita.
    —  La grand merci à vous, Vostra Eminenza, mais
que lui dirais-je ? repris-je, non sans quelque émeuvement.
    —  Ma niente, niente [49] , dit le cardinal avec un
sourire : ceci est une présentation, non une audience. Le pape vous bénira
et vous dira quelques mots. Quant à vous, sage comme une image, vous serez
comme elle, muet.
    — Comment me présenterai-je ?
    —  Marchese, reprit le cardinal en me tapotant le
genou, ne vous inquiétez pas, la chose est fort simple. Vous n’aurez qu’à
imiter le marquis espagnol qui passera avant vous.
    — Et pourquoi ce marquis espagnol passe-t-il avant
moi ? dis-je quelque peu piqué.
    — Ha ! Il puntiglio francese [50]  ! dit Giustiniani avec un rire, Marchese, de grâce, rassurez-vous. S’il vient en premier, ce n’est point
parce qu’il est espagnol, c’est parce qu’il est Grand d’Espagne. Il se nomme
Don Luis Delfín de Lorca.
    — Don Luis Delfín de Lorca ! dis-je, béant.
    — Le connaissez-vous ?
    — J’ai secouru une de ses parentes en Paris.
    —  Bene. Il le lui faudra dire. Ce n’est point
parce que Espagne et France sont en guerre, qu’il faut que Espagnols et
Français se coupent la gorge à Rome.
    —  Vostra Eminenza, je m’en ramentevrai, dis-je
avec un salut.
    —  Marchese, reprit-il après un moment de
silence, comment vous accommodez-vous dans mon palais ?
    — Émerveillablement bien.
    — Vous devez sans doute vous demander, poursuivit le
cardinal en m’espinchant de côté, pourquoi j’ai deux palais à Rome ?
    —  Vostra Eminenza, dis-je gravement, je ne me
permettrais pas de me poser une question pareille.
    —  Bene. La réponse est simple. Je n’en ai
qu’un : celui que vous occupez. Celui que j’occupe appartient à Ferdinando
di Medici, lequel y vivait du temps où il était cardinal. Mais comme vous
savez, son frère mort, le cardinal devint grand-duc de Toscane et, pour assurer
sa descendance, il dut dépouiller la pourpre et prendre femme. Ce qui le
chagrina beaucoup, ajouta Giustiniani avec un fin sourire.
    — Pourtant, dis-je, j’ai ouï dire que Christine de
Lorraine était belle comme le jour et bonne comme un ange.
    — Elle l’est. Et ce n’est pas l’épouser qui affligea le
grand-duc : c’est de renoncer au chapeau.
    — Mais n’est-ce pas, dis-je, un immense avantage quand
on est grand-duc de Toscane, d’avoir été pendant des années

Weitere Kostenlose Bücher