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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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alors à elle, comme je pus, à deux genoux sur toute la longueur du
tapis. Le pis, c’est qu’il fallait arriver au but en cette posture, baisser ma
face jusqu’à ladite cible, ce qui m’obligea à laisser mon chapeau de côté et à
prendre appui des deux mains afin que de ne pas perdre mon équilibre.
Toutefois, je n’eus pas à aller jusqu’à terre, car le Saint Père, pour m’aider,
voulut bien quelque peu hausser le pied, afin qu’il vînt à l’encontre de mes
deux lèvres, lesquelles je posai sur la petite croix blanche, sans faillir
d’apercevoir qu’elle paraissait fort usée de tous les baisers qu’elle avait
reçus.
    Le pape m’envisagea alors avec beaucoup de bénignité,
m’appela par mon nom, et me dit en français, d’une voix douce, de continuer en
la dévotion que je portais à l’Église de France et en le service du royaume de
France (mais sans mentionner le roi) et quant à lui, là où il le pourrait, il
le servirait du bon du cœur. Je ne saurais dire à ce jour si ces phrases
avaient, adressées à un Français, une signification politique, ou si elles
étaient seulement courtoises et coutumières.
    Comme avait dit Giustiniani, « sage comme une image, je
restai comme elle muet », et le pape me bailla une troisième bénédiction,
laquelle, par le fait, me donnait mon congé. Je me relevai et à reculons –
car il me fallait, comme Don Luis, saillir de la pièce sans cesser d’envisager
Sa Sainteté au visage – je parvins non sans peine à regagner la
portière de velours que je passai, rouge et tout en eau, me sentant hérissé
assez et mal à l’aise en ma vieille conscience huguenote. Le camérier me suivit
pour me raccompagner jusqu’à l’huis de l’antichambre, sans aucune utilité pour
moi, mais non sans quelque profit pour lui, car selon l’us, je lui graissai le
poignet au départir, le pensement me venant aussitôt qu’il devait être un des
hommes les plus étoffés de Rome, du moins si ce petit ruisseau de pécunes ne
coulait que vers ses coffres.
    Comme je saillais de l’huis dans la cour, un petit clerc
joufflu et zézayant me dit d’attendre le cardinal Giustiniani en sa carrosse
pour ce que Son Éminence avait dans l’esprit de me raccompagner chez moi.
Et y ayant là plusieurs coches, chacune plus dorée que l’autre, parmi
lesquelles je me trouvais perdu, le petit clerc me mena jusqu’à celle de son
maître, en me faisant observer, dans son joli ramage italien, que les armes de
Florence étaient peintes sur sa porte. Je lui baillai quelques sols et le
cocher ayant descendu le marchepied, je pris place, non sans soulagement, dans
ce petit nid capitonné de velours, où je me trouvai à l’abri de l’aigre bise de
ces temps tracasseux.
    Je n’eus pas à attendre prou, Giustiniani me venant joindre
quasi incontinent, et dès que le cocher eut fouetté, me dit en me toquant
derechef le genou, ce qui, je gage, était un geste de familiarité amicale qui
était censé m’honorer :
    —  Marchese, à dire le vrai, j’ai longtemps
balancé à vous présenter à Sua Santita, mais d’une part, il eût paru si
étrange de ne pas lui amener un gentilhomme français de votre rang, qu’aussitôt
l’attention des Espagnols de Rome, lesquels ont partout des yeux, eût été
attirée sur vous. Mais d’autre part, en vous présentant, elle l’est aussi, mais
se peut, un petitime moins.
    — Et serait-il tant mauvais, dis-je, n’entendant rien à
ces finesses, que j’éveille l’intérêt de ces messieurs ?
    — Tout au rebours, dit le cardinal, car ils ont eu vent
que des négociations se poursuivent entre le prince de Béarn et le Vatican,
mais ils ne savent pas par qui. Pour eux, d’Ossat ne voit le pape que pour la
messe chantée de la reine Louise. Et il vaut mieux qu’ils vous soupçonnent vous
plutôt que lui d’être l’intermédiaire secret.
    — Ce qui veut dire, je suppose, que les Espagnols vont
m’épier jour et nuit.
    — Il se pourrait même, dit Giustiniani, avec un sourire
suave, qu’ils tâchent à vous assassiner…
    — À parler franc, Vostra Eminenza, dis-je d’un
ton froidureux (car je commençais à comprendre le rollet que Giustiniani et le
pape, en m’accueillant avec tant de bonne grâce, m’avaient assigné), si
j’accepte, pour le service de mon roi, de servir de leurre ou d’appât, je
n’aimerais pas, par ce temps hivernal, finir dans les eaux glacées du Tibre.
    — En ce cas, dit

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