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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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du
monde. Mais de présent, je ne quitte plus Rome, étant devenu, avec l’âge, tant
casanier que chat ou que cardinal.
    De ce mendicante plaisant et joculant, et de tout ce
qui m’était échu ce matin, je contai ma râtelée à
M. de La Surie, tandis que nous étions mâchellant nos viandes au
bec à bec, à la repue de midi. Et vous pensez bien, lecteur, que touchant le
baiser à la pantoufle papale, mon Miroul ne faillit pas de faire une réflexion
très à la Sauveterre, se plaignant aigrement qu’on divinisât un homme au point
de lui baiser le pied et qu’on rendît ainsi à une créature un hommage qui
n’était dû qu’à Dieu.
    — Quand on sait, poursuivit-il, comment un pape est élu
par ses pairs, quels calculs, brouilleries, pressions et corruptions président
au choix qui est fait de lui par les cardinaux, comment peut-on le révérer
comme le représentant de Christ sur terre ?
    — Babillebahou, mon Miroul, dis-je. Ce ne sont là que
coutumières cérémonies. Je me génuflexe bien sur un genou devant Henri pour lui
baiser le bout des doigts. Pourquoi ne me mettrais-je pas à deux genoux pour
baiser la pantoufle du pape, laquelle, au demeurant, ne sent pas l’ail comme la
main d’Henri. Mon Miroul, je ne regretterai pas ce pédestre poutoune, si
Clément VIII absout le roi.
    — Et crois-tu qu’il le fera ?
    — À tout le moins, je ne le décrois pas. Le pape,
maugré ses pleurs publics, n’aime pas les jésuites. Et il redoute l’Espagnol,
bien plus qu’il ne l’adore.
    — Si j’entends bien ton récit, mon Pierre, dit
La Surie, Giustiniani tient le milieu entre la fiance absolue de l’abbé
d’Ossat et la désespérance de Fogacer. Mais quid de ces menaces qui
pèsent sur toi ?
    — Elles ne me paraissent pas plus grièves que celles
que nous avons encourues en nos missions. Il faudra toutefois aviser.
    — Je suis béant, dit La Surie après un moment de
silence, qu’un cardinal romain t’ait conseillé, pour donner le change, de vivre
à l’étourdie…
    — Ce conseil, dis-je, se ressent de la Toscane et de
ses deux autres illustres Florentins : Machiavel et Lorenzo di Medici.
    —  Quid de ce Lorenzo ? dit Miroul qui était
raffolé de cette tournure latine.
    — Un généreux gautier qui, voulant débarrasser Venise
de la tyrannie de son cousin, Alexandre di Medici, partagea ses débauches pour
capter sa fiance et, à la parfin, l’occire.
    — Ventre Saint-Antoine !
    — La Dieu merci, repris-je, nous n’aurons pas, nous, à
dépêcher le duc de Sessa : cela n’entre pas dans notre rollet.
    — Mais la paillardise, céans, n’est point non plus si
aisée, dit mon Miroul avec un petit brillement de son œil marron, tandis que
son œil bleu restait froid. Paillarder à Rome, cornedebœuf ! Mais avec
qui ?
    Belle lectrice, vous savez jà, par le peu que j’en ai dit,
que si le florentin conseil de Giustiniani ne me prenait ni à rebrousse-poil ni
à contrecœur, il était plus facile à accepter qu’à suivre, les Romaines vivant
à ce point à part des hommes en public, que ce soit en coche, dans les fêtes,
au théâtre ou à l’église, qu’on ne pouvait quasiment les approcher sans faire
scandale : ce qui est d’autant plus tantalisant qu’elles ne vont pas le
visage couvert d’un masque comme nos gentilles femmes en France mais tout à
découvert, révélant non seulement des yeux très caressants, mais des traits
admirables où se lisent tout ensemble la douceur et la majesté. Ajoutez à cela
qu’elles sont vêtues fort richement, leurs vêtures étant semées de perles et de
pierreries et qu’elles ne se serrent pas le milieu du corps dans d’inhumaines
basquines comme nos élégantes, lesquelles en France ressemblent, ainsi
attifurées, à des sabliers, et sont si guindées et sanglées qu’elles en
deviennent roides et marchent comme des automates. Nos Romaines, au rebours,
laissent libre et lâche le milieu du corps, ce qui donne à leur démarche un
arrondi et une mollesse qui parlent davantage au cœur.
    C’est une chose bien remarquable que les plus nobles et les
plus étoffés des Italiens se vêtent bien plus simplement, et à moins de frais,
que nous ne faisons en France, mais qu’en revanche, ils aiment à parer et à
orner leurs compagnes comme des idoles. Il n’y a là nul mystère. Ces hommes ne
vivent que pour l’amour qu’ils éprouvent pour leurs femmes et le sentiment
exaltant que leur beauté leur

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