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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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baille, tandis qu’en France nous mêlons à notre
goût de ce doux sexe beaucoup trop de point d’honneur et de vanité, lesquels
introduisent dans ce sentiment je ne sais quoi de sec et de petit. Touchant ce
point, je serais, quant à moi, beaucoup plus italien que français, entendant
fort bien que les hommes, dans les dispositions que j’ai dites, poussent la
jaleuseté où ils sont de leur bien le plus cher jusqu’à défendre aux étrangers
d’approcher leurs épouses de leur parler, de leur toucher la main. Cela, je
gage, ne va point pour elles sans quelque incommodité, mais du moins se
savent-elles aimées. À en juger, de reste, par leurs effrontés regards,
lesquels sont d’autant plus libres que leurs vies sont plus entravées, je ne
jurerais point qu’elles soient, en leur for, plus vertueuses que nos
Françaises. Mais le moyen d’échapper à la vétilleuse surveillance des pères,
frères, oncles et cousins lesquels ont, comme Argus, cent yeux, dont la moitié
est toujours déclose ?
    C’est ainsi, belle lectrice, que quoique « sortant beaucoup »
(mais fortement accompagné) et visitant quasi quotidiennement les merveilles de
la Ville éternelle, je ne pouvais guère « vivre très à l’étourdie »,
l’étourneau n’ayant aucun accès aux linottes, et se trouvant contraint, depuis le
départir de la belle huissière, de vivre dans cette abstinence des voluptés,
laquelle, parce « qu’elle dérobe le temps », le charmant petit abbé
d’Ossat recommandait si naïvement à Henri Quatrième. Mais du temps, à dire le
vrai, j’en avais à revendre les églises, les tableaux, les vitraux, les
sculptures, les anciens monuments dont cette ville regorge ne suffisant pas à
l’épuiser, tant est qu’il m’en serait resté assez pour aimer, si l’occasion
s’était présentée à moi et que j’eusse pu la saisir, passant à ma portée, par
son unique cheveu. Si encore ma mission m’avait, comme à Reims, tout entier
possédé à toute heure du jour, mais pour le moment, elle ne consistait qu’à
attendre, puisque les négociations dont le sort de mon maître et de la France
dépendait se poursuivaient, hors ma vue, hors mes oreilles, et pour une part
même, hors mon entendement avec une lenteur de fourmi.
    Je passai un long mois dans ce dolce farniente [59] qui ne m’était doux le
moindre, mais bien au rebours, insufférablement pesant, l’hiver à Rome n’étant
point, par surcroît, si bénin qu’on le croit en Paris, mais au contraire,
pluvieux, venteux et tracasseux, tant est que dans mon beau palais cardinalice,
au milieu des mes colonnes et mes statues et mes marbres, je traînais,
trémulant de froidure, une vie languissante, ma cervelle n’étant occupée que de
mes seuls souvenirs.
    —  Signor Marchese, me dit mon mendicante particulier, tandis que, saillant de mon logis avec La Surie, je lui
baillai ma quotidienne obole, il me paraît que votre tant belle face porte un’aria
imbronciata [60] .
    — Un’aria imbronciata  ? dis-je, mon italien
n’étant point tout à fait à la hauteur de son langage.
    — En d’autres mots, Signor Marchese, vous voilà triste
comme un jour sans soleil.
    — C’est que précisément, dis-je, ce jour-ci est sans
soleil.
    — Nenni, nenni, Signor Marchese, c’est en votre
âme que le soleil défaille. Dans la réalité des choses, vous pâtissez de la malattia [61] des Français à Rome.
    — Et quelle est cette malattia ?
    —  Ils voient les belles Romaines et ne les
peuvent toucher.
    —  E la verita nuda e cruda [62] , dit La Surie. Le marquis souffre de la malattia des
Français. Et moi aussi.
    — Toutefois, il y a remède, dit Alfonso, l’œil fiché au
sol et l’air mystérieux assez.
    — Alfonso, dis-je, je suis tout oreilles et je t’ois.
    — Je connais una bella ragazza [63] .
    —  Tiens donc ! dis-je.
    —  Una bellissima ragazza.
    —  Mieux encore, dit La Surie.
    — Avec laquelle, dit Alfonso, vous pourrez dormir toute
une nuit pour quatre écus français.
    — Pourquoi des écus français ? dit La Surie.
    — Pour ce quelle les préfère à la monnaie du pape.
    — Alfonso, dis-je froidureusement assez, je n’appète
pas aux amours vénales et publiques.
    — Ha, Signor Marchese ! dit Alfonso en
levant les deux bras au ciel, il y a confusion. Teresa n’est pas une
ribaude : c’est une courtisane.
    — Quelle est la différence ?
    — Teresa n’a point de clients. Elle

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