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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Pace fût moins élevé en noblesse et en dignité
qu’aucun de nous, il avait grande allure, avec un profil de médaille et un air
tout ensemble de douceur et de fermeté en son expression qui prévenait de prime
en sa faveur.
    Le quatrième était Don Luis Delfín de Lorca que j’avais
encontré le jour de ma présentation au pape, gentilhomme de très haut lieu,
marquis, prince et Grand d’Espagne, fort bien tourné de sa personne, plein
d’esprit et, au surplus, aimable, tant est que dans la composition de son être,
on n’eût pu trouver la plus petite parcelle de cette humeur escalabreuse qu’on
prête, à l’accoutumée, aux gens de sa nation. Nous nous trouvâmes amis, dès
l’instant où nous jetâmes l’œil l’un sur l’autre, et nos fréquentes encontres
chez Teresa ne firent que souder notre lien.
    Afin qu’ils ne soient pas reconnus, je n’ai pas le propos de
décrire les deux Monsignori dans leur chair, encore que la leur,
précisément, fût à coup sûr intéressée à l’hôtesse du logis où, chaque
dimanche, je les revoyais. Ils étaient l’un et l’autre de très jolis cadets de
très bonne et ancienne famille italienne que la nécessité de garder de grands
domaines à leurs aînés avait jetés dans les Ordres, où la faveur papale les
haussa promptement jusqu’à la robe violette. Ils y accédèrent fort jeunes et
sans jamais qu’ils eussent mis le pied en leurs respectifs diocèses, ils vivaient
fort bien à Rome des revenus de leurs évêchés, baignant dans cette
« cléricale nonchalance » que Fogacer trouvait si désirable. De nous
cinq, ou plutôt de nous six, en comptant Giovanni Francesco, ils étaient de
beaucoup les plus jeunes, les plus rieurs et les plus fols, étant enclins à
vider flacons plus que de raison. Auquel cas, leurs propos trahissaient je ne
sais quelle sournoise tendance au sacrilégieux que Teresa, étant fort pieuse,
rebutait des griffes et des dents : ce qui incontinent rabattait la crête
de nos Monsignori et les rendait doux et dociles comme agneaux à la
mamelle. Et de reste, c’est bien un peu ce qu’ils étaient pour Teresa. Car
encore qu’elle fût plus jeune qu’aucun de nous six, il y avait tant de maternel
en elle qu’assis tous ensemble à la table qu’elle présidait, nous avions
l’impression d’être les louveteaux qui tétions le lait de la vie au pied de la
louve romaine.
    En ce qui me concerne, et sans que faiblît aucunement en moi
la remembrance de ma jolie duchesse, – tutt’altro [80]  – au bout d’un mois je fus si
entiché de la pasticciera que, traînant mes jours languissants dans cet
insufférable farniente que j’ai jà décrit, étant sans nouvelles et de
l’abbé d’Ossat, et du cardinal Giustiniani, et toute négociation paraissant
comme immobile et suspendue depuis le départir de Giovanni Francesco pour
Madrid, je passais le plus clair de mes heures à rêver de la nuit où la coite
de Teresa m’allait recevoir, des deux nuits, devrais-je dire, car elle avait
été bonne assez, pendant l’absence de Giovanni Francesco, pour me donner les
heures qui lui étaient réservées.
    Si on ne voit pas en Rome de belles rues marchandes comme en
Paris, les marchands, comme partout où il y a une Cour ou une noblesse impatientes
de dissiper leurs pécunes, ne défaillent pas, quoique leurs boutiques, cabinets
et échoppes soient qui-cy qui-là disséminés. En mes continuelles annulations
dans la ville, dès que j’apercevais quelque jolie chose à laquelle je
m’apensais que Teresa pourrait avoir appétit (ayant fort le goût du beau),
incontinent je l’achetais, éprouvant que cet achat me la rendait plus proche
par le plaisir que je me préparais à lui donner, tant est que je ne saurais
dire qui en recevait le plus de joie : celui qui baillait ou celle qui
recevait. Je lui écrivais aussi tous les jours en prose italienne et, que les
muses me pardonnent, en vers français, qu’à la revoir, je lui traduisais, cause
pour elle d’un grand émeuvement, encore que la poésie n’y gagnât pas beaucoup.
    En faisant mes comptes à un mois de là, je fus comme alarmé
de la subite enflure de mes débours et découvris avec une extrême mésaise que
je ne pouvais continuer ce train sans me mettre tout à trac à sec et devoir en
Paris retourner pour me regarnir, ce qui revenait (à grand déshonneur pour moi)
à abandonner la mission que le roi m’avait confiée, si peu utile qu’elle me
parût depuis

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