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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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huit heures de la nuitée.
    Ayant dit avec son même ambigueux souris, elle me tendit au
bout de son bras sa main chargée de bagues, ce qui, j’imagine, avait la même
usance que la troisième bénédiction du pape : elle me baillait mon congé.
Je me levai et me génuflexant sur un genou devant elle, je lui baisai la main
avec tout le respect du monde, puis me relevant, je saluai la mamma, et m’en
fus, le cœur me toquant comme fol.
    Alfonso me rejoignit dans la carrosse, et à peine eûmes-nous
sailli de la cour que nous nous trouvâmes pris dans une grande marée humaine,
laquelle se portait vers Saint-Pierre de Rome et s’ouvrant docilement assez
devant nous, nous permit de la remonter au pas, la presse étant si grande. Il y
avait là tout ce que Rome compte de confréries (et elles sont innumérables),
chacune revêtue de sa couleur propre, qui blanche, qui rouge, qui bleue, qui
verte, et chacune fort illuminée, un homme sur deux en ces cortèges portant un
flambeau au poing. La vacarme était assourdissante, pour ce que chaque
confrérie était précédée de son corps de musiciens et tous à l’unisson
chantaient des cantiques.
    Mû par une ardente curiosité qui me fit quelque peu oublier
Teresa (et la tantalisante incertitude où j’avais été à son sujet), j’écartai
très à la discrétion la tenture de la carrosse et, tâchant de ne me montrer
point, j’envisageai l’interminable procession avec émerveillement, ému assez de
voir tant de dévotion à ce grand peuple. Toutefois, oyant des claquements
sourds au milieu des nobles psalmodies, et ma carrosse s’arrêtant tout à trac,
je fus intrigué de cette noise discordante, et la nuit étant tiède ou se peut
réchauffée par toutes ces torches brûlant ensemble, je me penchai par ma vitre
baissée, et prenant soin toujours de garder le rideau de velours devant moi, je
vis s’avancer et longer ma carrosse une longue théorie de pénitents, la plupart
fort jeunes, lesquels marchaient le torse dénudé et, sans discontinuer, se
fouettaient cruellement avec des cordes sans un seul cri de dol, et à ce que je
vis même, à la lueur des torches, le visage paisible et riant.
    D’aucuns présentaient à ces flagellants du vin, lequel ils
prenaient en leur bouche, de prime pour le boire, mais ensuite pour le souffler
sur le bout de leurs cordes, afin que de les démêler et de les assouplir, pour
ce que le sang, en caillant, les avaient agglutinées, la discipline dont ils
usaient n’étant pas, à proprement parler, des fouets, mais de gros martinets à
manche court, terminés par un bouquet de cordes de chanvre.
    — D’où vient, dis-je à Alfonso, qu’ils ne paraissaient
pas pâtir, mais sautent, crient, s’exclament, tournent, rient et parlent entre
eux, comme si de rien n’était, tout en se déchirant à tour de bras l’échine et
le poitrail ?
    — On dit qu’ils se graissent de quelque onguent, dit
Alfonso, mais je ne vois pas que cet onguent puisse leur être de quelque
usance, une fois qu’ils ont mis la chair à vif.
    Et à vif, assurément, elle l’était, car à la lueur des torches,
je ne pouvais voir que des torses ensanglantés, où le sang caillé de couleur
foncée servait, pour ainsi parler, de toile de fond aux ruisselets de sang
rouge et frais que chaque nouveau coup faisait couler.
    Tout discrètement que je les envisageasse, gardant le rideau
devant mon visage, et ne laissant passer qu’un œil, je fus aperçu d’un des
pénitents, lequel tout en tournoyant et se fustigeant à main vive, me jeta un
regard et me sourit. Et moi observant sa face, laquelle était jeune et
avenante, et qu’il ne devait pas non plus être fort riche à en juger par ses
chausses et ses souliers, je fus ému de son prédicament et lui dis :
    — Compagnon, es-tu donc un si grand pécheur devant Dieu
que tu te meurtrisses ainsi ?
    —  Ma, Signor, dit-il en souriant d’une oreille à
l’autre, je ne me fouette pas pour mes péchés, bien loin de là…
    Cette réplique me déconcertant, et toutefois trouvant fort
piteux l’état de son pauvre dos, je lui tendis une piécette en disant.
    — Ami, voici de quoi te faire panser par un barbier,
dès que tu en auras terminé.
    —  Signor, dit-il en écartant mon obole d’une
main ferme, quoique réluctante, je ne peux accepter vos pécunes, vu que je suis
jà payé pour faire ce que je fais.
    J’en restai le bec bée, mais ne pus poursuivre mon
entretien, ma carrosse se

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