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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Et je serai, à la
vérité, comblé, si à titre de modeste tribut à votre émerveillable beauté,
laquelle fait de vous, sans conteste, la reine de ce pays, vous acceptiez de
moi le présent que voilà.
    Je tirai alors de mon pourpoint un écrin, lequel, belle
lectrice, contenait un bracelet d’or représentant un serpent qui faisait mine
de se mordre la queue, ledit serpent ayant pour yeux deux rubis et son corps
étant une torsade d’or fin. Toutefois, l’écrin à la main, je n’avançai ni pied
ni main, attendant le bon plaisir de la pasticciera.
    —  Prends-le, Djemila, dit-elle enfin.
    Incontinent, Djemila se dressa, et ondulant elle aussi comme
un serpent, me vint prendre l’écrin des mains et le mit dans les mains de sa
maîtresse, laquelle, sans le déclore, le bailla à la mamma, laquelle, sans
l’ouvrir davantage, le posa sur un coffre de cèdre très ouvragé qui se trouvait
à la dextre du cancan, où il eut l’air d’être aussi oublié que l’écrin de la
mamma sur la table de marbre de l’antichambre.
    — Plaise à vous, Signor Marchese, dit alors la pasticciera d’une voix douce, basse et musicale, de prendre place sur cette escabelle.
    Je m’avançai, m’assis et un long silence s’installa alors
pour la raison qu’étant si émerveillé par la beauté de Teresa, je ne trouvai
rien à lui dire. Et quant à elle, à’steure m’envisageant, à’steure se regardant
en mes regards, elle n’estimait pas que ce fût dans son rollet de parler. Non
que je la crusse bornée, car son œil, comme celui de la mamma, était vif et
fin, et j’ose même dire que le léger, très léger souris qu’elle laissait
flotter sur ses lèvres avait quelque chose de subtil et d’ambigueux, qui me ramentevait
la belle et imperscrutable face de cette autre Florentine, Monna Lisa, telle
que Leonardo da Vinci l’a peinte : portrait que j’avais souvent
admiré dans les appartements du roi au Louvre. Mais là s’arrêtait la
ressemblance pour la raison que l’œil de la Teresa était plus noir et plus
sombre, et sa chevelure qu’une raie partageait au milieu, infiniment plus
opulente. Et alors que la Joconde était assez simplement vêtue, la vêture de la pasticciera toute de brocart, d’or, de pierres et de pierreries,
dépassait en richesse et splendeur tout ce que j’avais vu à la Cour de France,
hormis sur la belle Gabrielle et les princesses du sang. Ce dont je lui fis
compliment, louant en passant les dames italiennes de ne pas se sangler et se
serrer dans des basquines comme les Françaises, mais de laisser le milieu du
corps souple et flottant : ce qui, au surplus, ajoutai-je, parlait
davantage au désir et à l’imagination.
    À quoi elle sourit, mais sans découvrir les dents, du même
souris ambigueux que j’ai jà décrit, et voulut savoir qui était la Gabriella.
    — Signora, dis-je, c’est la favorite du roi de
France.
    — Je gage, Signor Marchese, dit Teresa avec un
soupir, qu’elle est fort belle.
    — Elle l’est, Signora, dis-je, mais quant à moi,
je préfère un million de fois votre beauté à la sienne.
    — Plaise à vous, pourtant, Signor Marchese, de
me la décrire.
    — Eh bien, Signora, les courtisans disent que
son visage est lisse et transparent comme une perle ; que le satin de sa
robe paraît noir en comparaison de son sein ; que ses lèvres sont couleur
rubis, ses yeux d’un bleu céleste et ses cheveux d’or.
    — Et vous-même, qu’en dites-vous, Signor Marchese  ?
dit la Teresa d’un air quelque peu amusé.
    — Que c’est une beauté du nord, Signora, fade,
pâle et languissante, qu’elle se fait piqueter les sourcils (ce que je n’aime
point), que je préfère un teint plus chaleureux, et qu’enfin, vos propres
cheveux, Signora, sont comme une forêt dans laquelle on aimerait se
perdre.
    La Teresa rit à cela, découvrant des dents magnifiques, et
tournant le col, elle leva le visage vers la mamma et échangea avec elle
quelques mots dans un dialecte qui m’était déconnu.
    —  Signor Marchese, reprit-elle en me jetant un
regard doux assez de son bel œil noir, j’aimerais que vous m’encontriez à
Saint-Jean de Latran dimanche prochain sur le coup de dix heures pour me donner
l’eau bénite. Bien malheureusement, poursuivit-elle avec un sourire des plus
charmants, je ne reçois personne céans pendant la Semaine Sainte, mais le mardi
qui suivra sa terminaison, je serais heureuse que vous veniez souper avec moi
sur les

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