Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
remettant en marche et dépassant le gautier.
    —  Signor Marchese, dit Alfonso d’un ton peiné, à
quoi cela sert-il que je sois votre mendicante attitré, si vous devez
bailler vos aumônes au premier venu ? De reste, m’eussiez-vous dit que
vous alliez offrir pécunes à ce misérable, je vous en aurais détourné, sachant
bien, comme tout un chacun céans, que cette sorte de gens se fait payer pour se
flageller.
    — Ils se font payer ! dis-je, béant.
    —  Certamente ! dit Alfonso avec un petit
rire. Êtes-vous apensé, Signor Marchese, che il signor conte tal dei tali [75] qui a un gros péché à se faire
pardonner par le Seigneur, va lui-même meurtrir ses tendres épaules ?
Nenni ! Nenni ! Il paiera un faquin pour le faire à sa place !
    — Alfonso, dis-je, au comble de la béance, mais comment
est-il Dieu possible de faire pénitence sur le dos des autres ?
    Alfonso ne me répondant que par un haussement des épaules et
des mains, suivi d’un ma [76] qu’il
laissa en suspens, je laissai retomber le rideau et me rencoignant contre le
capiton de la carrosse, je demeurai comme étourdi par le tournoiement des
torses ensanglantés et les claquements cruels des fouets, les psalmodies, les
lumières dansantes des flambeaux et portai mon mouchoir à ma bouche et mon nez,
pour ce que je suffoquai presque de la fumée des torches et de l’âcre odeur de
sang et de sueur qui émanait de ces milliers de gens qui de tous côtés
montaient vers Saint-Pierre de Rome comme vers la source première de la vie et
de la vérité. Toutefois, à le regarder de plus près, je ne trouvai pas le
spectacle de cette foi populaire aussi émouvante que de loin. Il en était
d’elle, j’imagine, comme des plus belles cathédrales qui paraissent très magnifiques
jusqu’à ce qu’en s’approchant d’elles assez, on distingue à leurs pieds les
autodafés de livres et les bûchers des hérétiques.

 
CHAPITRE X
    Si la pasticciera m’attira de prime par sa beauté,
elle m’attacha à elle par l’émerveillable bénévolence de sa noble et suave
nature. Elle portait si peu d’intérêt aux clicailles qu’elle eût baillé tout à
tous, et en peu de temps se fût mise en chemise et sur paille, si la mamma
n’avait gardé un œil sur le bon ménagement de sa maison. L’étoffe même de
Teresa était riche et substantifique, de quelque côté qu’on l’envisageât. Elle
nourrissait pour les hommes un extraordinaire appétit et se trouvait si félice
d’en avoir cinq ou six en même temps dans sa vie que si elle eût été laide ou
riche, elle n’eût pas failli de les payer, pour qu’ils demeurassent en sa
coite. Se trouvant jeune, belle et de tout un peuple adorée, elle s’estimait,
vivant des largesses de ses amants, doublement leur débitrice, et de celles-ci,
et du plaisir qu’ils lui donnaient, comptant pour rien en sa donnante
gentillesse de cœur les voluptés qu’elle leur prodiguait.
    Non seulement la Teresa aimait ses amants, mais désirant
qu’ils s’aimassent entre eux, elle les invitait tous ensemble à souper le
dimanche soir, le seul jour où par pieux scrupule elle se voulait orpheline des
terrestres félicités. Moi compris, ils étaient six, mais quand je fus admis par
elle au nombre de ceux que la reine Elizabeth eût appelé the happy few [77] nous n’étions que cinq, le sixième
se trouvant être précisément Giovanni Francesco Aldobrandini, neveu du pape,
que Sa Sainteté avait envoyé à Madrid pour prendre langue avec
Philippe II, et que je prie le lecteur de ne pas confondre avec Cynthio
Aldobrandini, autre neveu du pape, lequel était cardinal et secrétaire d’État
au Vatican.
    Parmi les convives du dimanche, le haut clergé n’en était
pas moins représenté par deux Monsignori, dont « pour de dignes
raisons », comme dirait Alfonso, je tairai les noms dans ces Mémoires, et
ceux-là, pour ces mêmes raisons, se trouvaient seuls dispensés de passer
quotidiennement à cheval devant la fenêtre de Teresa. Toutefois, leurs liens
avec la pasticciera n’étaient à Rome qu’un segreto di Pulcinella [78] , et pas un Romain n’eût rêvé
penser plus mal d’eux pour cela, bien le rebours.
    Le troisième de ces gentilshommes, comme on sait jà, était
le Bargello delta Corte [79] , qui
se trouvait être un descendant de ce pauvre Délia Pace, que le lâche
Grégoire XIII, pour sauver sa vie, avait livré à la populace romaine
révoltée. Combien que Délia

Weitere Kostenlose Bücher